Si vous avez déjà fait un séjour à l’étranger pour apprendre une langue seconde – votre cerveau, en lisant ces mots, baigne déjà dans l’endorphine –, vous savez à quel point l’expérience vous inculque un amour éternel et infaillible de ladite langue et du pays d’accueil. Encore la semaine dernière, j’ai écrit un article concernant le Paraguay, où j’ai appris l’espagnol lorsque j’avais 16 ans.
À l’Université Laval, 160 étudiants étrangers chaque session se prenaient d’amour pour le pelletage de neige, les jurons et l’accent québécois jusqu’à l’automne 2007, lorsque leurs frais de scolarités ont été portés à plus de 7500$ par session. En effet, le ministère de l’Éducation, en accord avec la Conférence des recteurs et des principaux des universités du Québec, avait choisi d’attribuer les bourses d’exemption des frais de scolarité majorés aux étudiants étrangers de cycles supérieurs plutôt qu’à ceux du programme de français langue étrangère (FLE). Aujourd’hui, les impacts de cette décision se font sentir. Le nombre d’aspirants francophones a dramatiquement chuté dans l’enceinte de la plus vieille université de langue française en Amérique du Nord – qui s’était opposée à la décision, selon ses dires. On compte seulement 60 inscrits pour la session en cours. De ce fait, quatre des quatorze maîtres de langues lavallois se retrouvent sans emploi, avec pour seule défense un petit syndicat qui ne semble pas faire le poids.
L’histoire se mérite le titre de scandale, la mesure ressemblant drôlement à un coup d’épée dans le flanc de l’enseignement du FLE au Québec. Comment le ministère n’aurait-il pas pu connaître les impacts de son geste, considérant qu’aussi régulièrement que la marmotte sort au printemps, les étudiants se ruent dans les brancards pour dénoncer le fardeau financier qui leur incombe? Comme si la situation était différente ailleurs dans le monde!
Il faut donc que l’on ait décidé de prioriser l’argument économique plutôt que l’argument culturel. En effet, les étudiants qui viennent faire des études supérieures au Québec ont plus de chances d’y rester que ceux qui y viennent pour apprendre une langue seconde. Aucune étude n’existe à ce sujet et bien que les maîtres de langue voient certains de leurs étudiants s’établir chez nous, force est d’admettre que ceux qui font leur maîtrise ou leur doctorat au Québec sont les plus susceptibles d’immigrer, ayant acquis une formation adaptée à un secteur d’emploi spécifique à la province. Ils sont ceux que le Québec-en-manque-de-main-d’œuvre-qualifiée veut avoir.
Mais pourquoi les attirer au détriment de ceux qui désirent faire exclusivement l’apprentissage du français? Les étudiants de FLE deviennent par la suite de véritables ambassadeurs du Québec et de ses universités dans leur pays d’origine. Parmi les 83 millions de personnes qui apprennent le français comme deuxième langue, ils sont ceux qui choisissent de l’apprendre hors du «centre» de la francophonie qu’est la France. Ils encouragent la pluralité au sein de notre communauté linguistique. Avec des frais de scolarité aussi hauts, il est évident que le Québec devient moins concurrentiel par rapport à la France pour ce qui est de recruter des amants de la langue dite «de Molière».
Bref, cette dissémination de la bonne nouvelle à travers le monde coûte cher et le ministère de l’Éducation a choisi de lui couper les vivres de façon radicale. Il n’est pas exagéré de dire que le programme de FLE est en péril à l’Université Laval. Il faut agir et empêcher son désagrégement à court terme, mais aussi assurer son avenir à long terme. Le Québec doit se préoccuper du rayonnement du fait francophone (comme il devrait s’inquiéter du sort des communautés francophones canadiennes hors-Québec…) non seulement en paroles, mais aussi en actes. Si on veut que les «congères» s’appellent aussi des «bancs de neige», il y a des efforts à faire, de l’argent à dépenser. Si nos universités délaissent cette cause, qui la prendra en charge? Non, Mme Courchesne, l’éducation n’est pas qu’une affaire de chiffres : il faut parfois s’engager par pure foi en notre culture.
Il faut parfois miser sur les amours de vacances, brèves mais impérissables.