Je suis un super-héros. Depuis maintenant deux ans, je risque ma vie tous les jours. Je peux même me compter chanceux d’être encore vivant pour vous parler de mes périlleuses expériences.
Pourtant, je ne suis pas vraiment aventureux. Je hais les sports extrêmes, surtout le rafting. Je me demande à quoi ça sert de risquer sa vie pour quelques secondes de sensations fortes et un peu d’adrénaline. Pas besoin de payer une fortune pour sauter en parachute ou à l’élastique. Prenez votre bicyclette et roulez dans Québec ! C’est moins cher et beaucoup plus excitant.
Je vis cette excitation au quotidien, simplement en effectuant une action banale mais nécessaire : me rendre à l’Université.
Le monstre, le rouleau compresseur, le déchiqueteur de chair humaine qui en veut tant à mon intégrité physique se nomme l’automobiliste. Ce prédateur du cycliste a ses habitudes : il se déplace de préférence le matin entre 7h30 et 9h et le soir entre 17h et 19h.
Ses caractéristiques principales sont de conduire une voiture de marque quelconque, mais de préférence énergivore, de rester insouciant à tout autre véhicule de taille plus réduite que le sien et de manier avec brio sa main libre pour klaxonner ou provoquer piétons et cyclistes.
Son terrain de jeu favori : le boulevard René-Lévesque, que je rebaptiserai «la jungle».
Donc, dans cette jungle, j’essaie de me mouvoir et de m’extirper des griffes de la circulation. Entre les nids-de-poule et les bus, je slalome telle une proie en panique. Frôlée, houspillée par les fous du volant, ma monture ne m’a pour le moment jamais fait défaut, malgré son âge et son état de décrépitude avancé.
Mais pire que les conducteurs amateurs, il y a les taxis. Ces chers messieurs pensent que le fait d’avoir une enseigne lumineuse sur le toit de leur auto leur confère une immunité totale. Il me revient en tête cette scène tragi-
comique, durant laquelle le ton est monté entre un de ces gentils chauffeurs et moi-même. J’ai eu le malheur de rouler dans la voie réservée! Erreur fatale, puisque le monsieur n’a pas apprécié et me l’a fait comprendre en m’attaquant sur mon origine française et mon statut de cycliste. Après un échange virulent, il m’a gratifié d’un crissage de pneus sonore et d’un doux fumet de CO2.
Je vous entends poser la question : mais pourquoi ne prend-il pas la «piste cyclable» se situant entre René-Lévesque et Sainte-Foy? Parce que je ne veux pas me lever à 5h30 pour arriver à l’université à 8h30. Avez-vous déjà emprunté ce parcours? C’est très agréable lorsque vous n’avez rien d’autre à faire que du vélo, mais lorsqu’il s’agit de se rendre rapidement quelque part, oubliez ça ! Zigzaguant d’une rue à une autre, faisant des détours de 1,5 kilomètres par rapport à son axe central, cette «piste cyclable» est l’œuvre d’un aménagiste urbain insensé… ou bien d’un automobiliste !
Sans prétention aucune, je me considère comme un super-héros de la post-modernité, luttant pour ma survie chaque jour dans cette jungle urbaine.