Vivre et mourir, un cri à la fois
Il y a eu Cannes, l’incertitude, le frisson, puis le Grand Prix. Pour Xavier Dolan, et son film Juste la fin du monde, c’était donc médaille d’argent : le réalisateur québécois se tenait sur la seconde marche du podium, un pas plus haut que pour Mommy, prix du Jury en 2014.
C’était là une récompense presque inespérée après une projection de presse marquée par le désaveu de la critique américaine. Et pourtant : Xavier Dolan assurait avoir livré là son film le plus maîtrisé. On ne saurait le contredire : Juste la fin du monde est un grand, très grand film.
En adaptant la pièce de théâtre du dramaturge français Jean-Luc Lagarce, Dolan a fait le choix des mots qui claquent et de la langue qui blesse, précise, âpre et rugeuse. Le nouveau long-métrage de l’enfant chéri de la Croisette n’a pas le charme tourbillonnant de Mommy, ni sa charge émotionnelle brute. Juste la fin du monde est un film à la fois plus austère et plus violent, un ballet mortel, parfaitement exécuté, tranchant et implacable.
Louis (Gaspard Ulliel, le Saint Laurent de Bertrand Bonello, d’une justesse remarquable) jeune auteur à la brillante carrière, revient chez les siens après douze ans d’absence. Dans la nouvelle maison familiale l’attendent sa mère (l’immense Nathalie Baye, qui renoue avec le réalisateur après Laurence Anyways), sa jeune sœur Suzanne (Léa Seydoux), son frère Antoine (Vincent Cassel) et sa belle-sœur Catherine (Marion Cotillard). Louis doit leur annoncer qu’il va mourir : ainsi s’explique ce retour inespéré.
Les retrouvailles, toutefois, n’ont rien de cordiales : avec le temps, les rancœurs se sont exacerbées et cette visite impromptue vient raviver les vieilles douleurs. C’est une Suzanne fragile qui accueille un frère qu’elle a à peine connu, alors qu’Antoine est tout en colère grondante. Quant à la mère, accoutrée d’impossible manière, elle navigue entre la lucidité et l’aveuglement, toute à sa joie de retrouver un fils dont elle sait pourtant qu’il ne restera pas. Douce et compréhensive, Catherine assiste, impuissante, à cette réunion de famille qui est une bataille et une tempête.
Pour son sixième long-métrage, Xavier Dolan a réuni la fine fleur du cinéma français, magnifiée par une direction d’acteurs admirablement sensible et précise et un usage judicieux des gros plans, parfaitement adapté au propos. La partition est d’une folle exigence. Dans les scènes de famille comme dans ces tête-à-tête qui émaillent le film et qui sont autant de duels, les personnages créés par Lagarce émeuvent, choquent et dérangent. Dans le rôle de Catherine, Marion Cotillard, en particulier, est criante de vérité, touchante à fendre l’âme.
La maestria du réalisateur est mieux dosée qu’à l’habitude : la tranquille mais puissante scène d’ouverture, rythmée par la frissonnante Home is where it hurts de Camille, est notamment de celles que l’on n’oubliera pas. Juste la fin du monde est un huis clos intense et parfaitement chorégraphié par un Xavier Dolan au sommet de son art : l’œuvre est fascinante, étourdissante: aussi tant les cris et les mots volent parfois à toute vitesse. Un tour de force.