Ancien étudiant en études littéraires à l’Université Laval, Patrice Michaud a lancé le 3 février dernier Almanach, son troisième album, qu’il décrit comme lumineux. « Moi, je ne peux pas enlever la lumière de ce que je fais. Des fois il y en a plus, des fois, moins, mais il y en a toujours un peu », livre-t-il avec le sourire et l’assurance qu’on lui connaît.
Bien que ce petit dernier semble couler de source, Patrice Michaud révèle qu’il lui a donné du fil à retordre. Le doute s’est rapidement mis de la partie, surtout que, cette fois, il n’avait pas de chansons en banque. « Au départ, le projet était purement musical, mais c’était un problème, car je n’avais rien à dire. Si je ne sais pas quoi dire, c’est peut-être parce que je n’ai rien à dire, et peut-être que je devrais attendre. J’ai passé par des exercices d’écriture, en toute humilité. J’ai travaillé très fort pour que ça revienne », confie-t-il, à propos de la genèse du disque.
Il s’est entre autres accroché à des citations pour se lancer. Notamment, les mots de Réjean Ducharme qu’il décrit comme la pierre d’assise de son album. Il a d’ailleurs dû faire des démarches auprès de Gallimard et de l’auteur lui-même afin d’avoir les droits.
À ce sujet, il témoigne des difficultés du processus. « Il y a 98 % des chances qu’on en entende plus parler : 1 % oui, 1 % non. Finalement, Gallimard nous recontacte pour nous dire que l’auteur est d’accord. Est-ce qu’il a lu, est-ce qu’il a écouté? On n’en sait rien, mais il a dit oui. Une vraie bouteille à la mer qui nous revient avec une réponse. Je suis très fier. »
Il compare aussi Les terres de la couronne à Dans un spoutnik de Daniel Bélanger. « « Six milliards de solitude, de seuls ensemble », c’est un peu ça, les terres de la Couronne, ce sont des terres de chasse convoitées, les gens s’obstinent parce que tout le monde est chez eux. Là, je suis dans un terrain de chasse de l’amour, c’est un peu ça, cette chanson ».
L’almanach du peuple
Quant au titre de l’album, il reprend l’idée avancée dans Le feu de chaque jour, celle du quotidien exposé, de façon pêle-mêle. Il se base entre autres sur la référence populaire de l’almanach du peuple, « un gros magazine people, où on trouvait un paquet d’informations sur la vie, l’essentiel et, à travers, un paquet d’anecdotes très niaiseuses ».
Ainsi, Patrice Michaud place son album sous l’emblème du paradoxe de l’ordinaire. Cet almanach, c’est un peu le sien. Derrière la référence populaire québécoise, il explore et s’approprie la pratique ancestrale. « Ça offrait un regard en arrière, et on s’en servait pour faire une projection sur ce qui nous attend. Je trouvais que ça ressemblait à ce que je fais en chanson. Des thèmes incontournables de l’existence, qui voisinent des affaires à ras l’ordinaire. »
Composer par fragments
Lui-même se décrit comme un artisan, qui travaille par fragments, de musique comme de texte. L’assemblage fait partie de son processus de création. « J’écris des morceaux par bouts, après ça, je regroupe avec la musique, je fais des collages. Une fois que j’ai quelque chose qui se tient, je vais construire autour. »
Plusieurs de ses pièces se sont d’ailleurs concrétisées à l’ultime étape; entre autres, le monologue Tout le monde le saura, enregistré dans son sous-sol. Dans le contexte de l’élection de Trump, le musicien et parolier a décidé d’inclure ce poème au disque, à la dernière minute. « Je savais que je ne voulais pas l’interpréter moi-même, en faire une chanson. J’avais eu l’idée de confier les dernières lignes à mon fils. Dès les premiers moments, il a fait ça comme un jeu, le texte a pris tout son sens. Il restait quelque chose de très simple et percutant, parce que c’est la voix d’un garçon de 4 ans et demi. »
Ce troisième album, c’est donc Patrice Michaud lui-même, dans ce qu’il décide de nous livrer et de nous taire. Une poésie musicale et textuelle, qui clame les détours du régulier ; « faire du beau avec du laid, du vrai avec du faux ». Le paradoxe de l’inattendu, trouver dans l’incohérence du monde et les failles du prévisible de quoi forger l’espoir : voilà ce qui compose l’almanach de Patrice Michaud.