Comme chronique pour débuter la session, j’aurais pu, voire je devrais, vous inviter à redoubler d’effort dans les prochains mois afin de réaliser vos rêves et atteindre vos objectifs. Je vais plutôt vous raconter mon été et vous inviter à prendre le temps. Le temps de lire, mais surtout le temps de vivre.
Mon parcours académique est tout ce qui a de plus classique. À l’âge de 17 ans, je me suis inscrit dans un programme de communication au Cégep de Jonquière, à quelques kilomètres seulement de chez mes parents. Au bout de trois ans, j’ai quitté le nid pour étudier la sociologie à l’Université Laval pendant quatre années. De fil en aiguille, et ce depuis le primaire, j’ai acquis des «compétences», des expériences de vie qu’on me présentait d’abord comme des outils, mais qui aujourd’hui constituent mon «parcours», le matériel de base qui me permet d’agir en société et dans ma vie personnelle.
Mes sept années d’études post-secondaires, à l’image des vôtres, n’ont pas été de tout repos. Entre les activités festives arrosées, les délais toujours trop courts, les défis toujours plus grands et les emplois d’été pour regarnir les coffres, il devient facile de s’oublier comme personne, et difficile d’en prendre conscience sans une cassure, douce comme un voyage, ou rude comme une dépression et de l’épuisement professionnel.
Cette impression d’aliénation était tellement forte chez moi à la fin de la session d’hiver que mon intérêt pour mes études avait radicalement chuté, au point de considérer sérieusement laisser tomber tout ce que je construisais depuis sept ans. Sans tomber dans la psychologie populaire, il me semble important de s’arrêter pour réfléchir à ce qui importe pour nous et aux motivations qui nous amènent à agir : se ressourcer. Pour moi, ce fut les Îles-de-la-Madeleine. Mes îles.
Un dicton madelinot me fait sourire à chaque fois. « Aux Îles, on n’a pas l’heure, on a le temps. » La différence peut paraitre subtile, mais elle est essentielle. L’heure est le système codifié qui nous permet de diviser le temps, notamment en quart de travail. C’est l’heure qui transforme le temps en argent en le quantifiant. L’heure, c’est le rendez-vous et l’agenda: c’est la tentative de cadrer la vie humaine dans un horaire dans le but de l’optimiser.
Le temps, c’est la rencontre, celle qu’on savoure comme un bon vin, avec patience et avec soin. Cette idée prend corps dans la communauté des Îles-de-la-Madeleine. Et soudainement, ces matins qui pesaient si lourd sur ma pauvre existence privilégiée étaient redevenus des occasions de mordre dans la vie.
Je ne vous ai finalement pas vraiment raconté mon été, mais si vous avez pris le temps de lire, je crois que vous avez compris. S’arrêter n’est pas un symbole de faiblesse, mais bien la pierre d’assise d’une force encore sous-estimée. S’arrêter, c’est prendre le temps de regarder sa propre réalité en face afin de pouvoir agir en pleine conscience de nos forces et de nos limites.
Pour s’arrêter, nul besoin d’un voyage, et surtout pas d’une dépression. S’arrêter est un état d’esprit quotidien, une résistance douce et accessible contre le chaos qui nous guette.