La conférence Claire L’Heureux-Dubé est un événement annuel organisé par la Faculté de droit de l’Université Laval. Cette année, pour la 14e édition portant sur l’identité et l’égalité, la conférencière invitée était Rosalie Silberman Abella, juge à la Cour suprême, vendredi le 8 septembre dernier à l’amphithéâtre Hydro-Québec.
Une invitation qui tombe à pic, selon le doyen par intérim de la Faculté de droit, Sylvio Normand. «La juge Abella est reconnue comme étant la championne de l’égalité », lance-t-il, peu avant qu’elle soit invitée à monter sur scène devant des centaines d’étudiants captivés.
La juge a commencé en insistant sur l’importance de la connaissance dans le milieu juridique. « La justice constitue l’application de la loi à la vie », énonce presque d’emblée Mme Abella. Elle se permet ainsi de dévoiler les obstacles que peuvent rencontrer le système judicaire lorsque vient le temps de passer d’une loi plus englobante à un cas réel plus précis et particulier.
« Nous sommes tous limités à ce que nous ne connaissons pas et ce que les autres ne connaissent pas », ajoute-t-elle, soulignant que les juges sont eux-mêmes restreints par leurs propres expériences de vie. « Les juges aussi ne peuvent seulement avoir qu’une expérience limitée, mais la littérature, elle, permet d’élargir les esprits. »
Mme Abella souligne le pouvoir humanisant que possède la pratique de la lecture, menant à un certain effet égalisateur dans le milieu. « La littérature permet aux lecteurs de vivre d’autres réalités sous d’autres identités et de ressentir le monde à travers les mots d’un autre », ajoute-t-elle, visiblement amoureuse des lettres.
Selon elle, c’est précisément cette accumulation d’expériences qui devient incontournable lorsque vient le temps de traiter de questions égalitaires. « L’égalité est un enjeu qui découle directement de l’identité », indique la conférencière, résumant ainsi son idée.
L’individu ou le groupe, le Canada et les États-Unis
La juge poursuit en expliquant à quel point l’identité a un rôle plus particulier lorsqu’elle n’est pas la même que celle du groupe majoritaire. « Il y a trois solutions pour un individu d’un groupe minoritaire : soit l’individu s’adapte pour devenir indiscernable du reste, soit l’individu refuse tous compromis et ne se joint pas au groupe majoritaire, soit l’individu s’intègre en mélangeant ainsi les deux identités », dit-elle
« Les États-Unis préfère la première solution puisqu’ils chérissent la similitude », lance-t-elle. Selon la juge, nos voisins du sud optent plutôt pour une homogénéisation des différentes identités et des différents groupes. Elle décrit ce phénomène en utilisant l’image du melting pot afin d’illustrer l’assimilation subie par les groupes minoritaires en sol américain.
Mme Abella croit que le Canada favorise plutôt l’intégration, autrement dit la troisième solution. « C’est un pays bâti entre Français et Anglais, et il ne s’est jamais soucié de la protection des droits individuels contrairement aux États-Unis », croit-elle, expliquant que les deux cultures ont dû se contenter de cohabiter en prenant en compte leurs différences sans pouvoir toutefois assimiler l’autre.
« Les États-Unis établissaient les mêmes droits à tous sans considérer les différences et ce principe était devenu l’une de leur principale exportation. Le monde a dû reconnaitre que les groupes aussi devait avoirs des droits et c’est ce qui a donné lieu aux droits de la personne qui protègent contre la discrimination et l’exclusion. » – Rosalie Silberman Abella
« Ce ne sont pas toutes les différences qui peuvent ou qui doivent être éliminées, constate-t-elle. On ne peut pas changer nos grands pères », citant ici le philosophe américain Horace Kallen.
Tradition annuelle
L’amphithéâtre Hydro-Québec était bondé pour l’occasion. Plusieurs représentants de la communauté juridique étaient présents. En plus de l’ex-juge Claire L’Heureux-Dubé elle-même, deux autres anciens de la cour suprême étaient sur place, à savoir Louis Lebel et Marie Deschamps. Le ministre de l’Emploi et de la Solidarité sociale, François Blais, était lui aussi présent.
Un certain décorum était palpable dans la salle. Le ton et l’atmosphère plutôt protocolaires se sont tout de même allégés au fur et à mesure que l’événement se déroulait.
La conférence a été créée en l’honneur de la juge et diplômé de l’Université Laval Mme L’Heureux-Dubé suite à son départ de la cour suprême. M. Normand n’a pas tari d’éloges à l’endroit de cette dame, la décrivant comme étant « une personne attachante à la pensée marquante, reconnue pour ses idées avant-gardistes ».
Il a aussi souligné l’amitié qui s’est développé entre elle et Mme Abella. Selon lui, ce sont toutes deux des « modèles » dans le monde juridique. La juge Abella s’est d’ailleurs méritée un doctorat honoris causa de l’Université Laval en juin dernier.