Du 4 au 7 octobre se tenait le colloque, La responsabilité de protéger. Écologie et dignité, un événement important pour la Faculté de philosophie de l’Université Laval. Le tout était organisé par la chaire de recherche, La philosophie dans le monde actuel, dont le professeur Thomas De Koninck est titulaire. Plusieurs invités, émanant de différents milieux, ont eu l’occasion d’aborder différentes facettes d’enjeux liant l’environnement à l’humain. «C’est un évènement très intéressant qui fait part d’une certaine urgence d’agir», exprime d’emblée le doctorant de philosophie, Antoine Verret-Hamelin.
Malgré la diversité des sujets traités, plusieurs des invités semblaient être sur la même longueur d’onde en reliant le droit à un environnement sain à des principes de dignité humaine. « Une personne ne peut être considérée comme un objet ou un moyen, mais bien comme une fin en soi », relate la sénatrice, Renée Dupuis, d’un propos de la pensée du philosophe Emmanuel Kant qui a aussi été repris par plusieurs autres des invités.
«Il faut insister sur la responsabilité civile, celui qui est responsable d’un dommage doit le réparer», poursuit-elle dans une optique plus juridique, rejoignant les propos mis de l’avant par l’avocate et professeure de droit, Sophie Lavallée.
Celle-ci explique qu’il n’y a pas de garantie au droit à l’environnement dans la Charte canadienne des droits et libertés, mais elle inclut toutefois les droits à la vie, à la santé et à la sécurité. Selon elle et plusieurs autres conférenciers, tous ces droits sont pourtant liés et même indissociables.
De plus, les législations environnementales ne prévalent pas sur les autres lois et sont donc limitées. « En enchâssant le droit à un environnement sain dans la constitution canadienne, la loi ne pourrait être plus facilement abrogée et serait plus durable, survivant aux changements de gouvernement », soutient Mme Lavallée, admettant tout de même que des discussions constitutionnelles ne semblent pas être envisagées dans un futur proche.
L’extractivisme
« Une grande partie du fardeau écologique et environnemental est placée entre les mains des pays plus démunis », enchérit M. Verret-Hamelin, croyant que ce fait contribue à restreindre leur capacité de développement.
Selon ses dires, l’extraction des ressources naturelles n’est pas avantageuse pour une région donnée, d’autant plus que la grande partie des bénéfices ne seront même pas récoltés localement. Cette pensée est partagée par la chercheuse et experte en enjeux ethnologiques, Kristina Sehlin MacNeil, qui parle elle aussi de l’extraction en tant qu’idéologie politique et économique : «l’extractivisme».
Elle fait aussi allusion à la «violence extractive» comme étant une forme de violence directe à l’endroit des peuples autochtones, à laquelle s’ajoutent des violences structurelles et culturelles. « La violence envers la terre lors de l’extraction des ressources est perçue par certains peuples comme une violence directe, étant donné la connexion qu’ils exercent avec leur terre », explique la chercheuse de l’Université d’Umeå en Suède.
La dignité et les droits des autochtones
Niila Inga, un éleveur des rennes du nord de la Scandinavie, est un membre du peuple Sami et accompagne Mme Sehlin MacNeil durant son allocution. Il explique les notions qui rattachent les Samis à leurs terres.
« Nos droits émanent du droit des rennes d’utiliser le territoire », relate-t-il. D’après lui, tout ce qui est un obstacle aux mouvements et à la santé des troupeaux porte de manière interposée atteinte aux droits des peuples autochtones du nord de l’Europe.
Au Canada aussi, les Premières nations sont souvent aux prises avec l’exploitation des ressources dans leurs terres. Bien qu’ils aient obtenu gain de cause dans le dossier de l’exploitation pétrolière sur l’île d’Anticosti, les Innus sentent souvent que leurs revendications sont ignorées.
« On parle de changements climatiques depuis 1989, mais personne ne nous écoute, c’est comme avec la morue dans les années 70 », soutient Jean-Charles Piétacho, le chef de la communauté innue d’Ekuanitshit.
Le monde occidental pourrait pourtant en apprendre plus des peuples autochtones selon le professeur de géographie, Rodolphe De Koninck. « On a toujours refusé de reconnaître la façon de vivre et de produire des autochtones et pourtant lorsqu’on les redécouvre, on prétend que ce sont de véritables révolutions », souligne-t-il, donnant en exemple l’agriculture sur brûlis.
Les failles du développement durable
Certains des invités semblaient porter un espoir prudent envers les promesses qu’offre le développement durable. D’autres trouvent carrément que c’est un concept absurde. « Ça n’existe pas le développement durable, le développement implique toujours une certaine destruction et contribue à une conception marchande de la planète », martèle M. DeKoninck.
Ce dernier est exaspéré d’entendre parler de développement, l’humain en fait déjà trop selon lui. « On produit assez de nourriture pour 11 milliards d’êtres humains, mais 35% de la production alimentaire est gaspillée », s’exclame-t-il.
Une participante demande ce qu’il est possible de faire pour l’avenir, étant donné le sombre portrait dressé par certains des invités. La sénatrice Dupuis, semblant ravie de la question, lui répond : « Je trouve que c’est encourageant de se faire poser la question, parce que ça veut dire que vous voyez un avenir, ce qui est très important, puisque finalement c’est vous l’avenir. »
Justice climatique en Arctique
« Les relations humaines ont été galvaudées par l’économie et la politique », affirme le docteur de philosophie, Kokou Sename Christophe Amegatsevi. Cette affirmation résume l’enjeu de la présence canadienne en Arctique, selon la professeure de droit, Paule Haley.
Elle croit que ce sont surtout les intérêts économiques qui priment dans le débat autour de la question de l’Arctique. « La conception du territoire nordique n’est pas très durable », souligne-t-elle, donnant en exemples les nombreux exercices militaires qui y ont lieu.
« L’Arctique est l’endroit sur la planète où le réchauffement est le plus sévère », remarque le professeur de biologie, Marcel Babin. Ce réchauffement donne un nouvel accès aux potentielles ressources, augmentant le risque de pollution locale tel qu’il l’explique.
L’Arctique est déjà aux prises avec de la pollution externe. « L’océan Arctique concentre les polluants du monde entier », élabore M. Babin. Cette concentration de polluants met en danger la santé des écosystèmes arctiques et les populations inuit qui en dépendent.
« Le gouvernement a pourtant l’obligation de protéger les peuples et la population de l’Arctique », révèle Haley, insistance sur une meilleure gouvernance environnementale en lien avec les populations inuit locales.
Avec les changements climatiques, les cultures et les modes vie des Inuit sont en danger. « Le froid est un droit humain pour les Inuit », ajoute M. Verret-Hamelin, en citant le titre de l’ouvrage de l’auteure Sheila Watt-Cloutier.