Dans son projet de loi 151 présenté le 1er novembre dernier à l’Assemblée nationale, la ministre de l’Enseignement supérieur, Hélène David, a concrétisé sa volonté de combattre et de prévenir les violences à caractère sexuel dans les universités. L’un des piliers de sa politique est d’encadrer les « liens intimes » entre professeurs et étudiants.
Au-delà des efforts pour augmenter en sensibilisation et en formation sur les campus, cette nouvelle politique devra prévoir un code de conduite concret pour proscrire les relations à positions d’autorité dans nos institutions d’éducation partout dans la province.
Il faut ainsi « encadrer les liens intimes, amoureux ou sexuels qui peuvent s’établir entre un étudiant et une personne ayant une influence sur le cheminement de ses études, qu’elle soit membre du personnel ou dirigeante de l’établissement », peut-on lire via le site de l’État québécois.
Des sanctions seront donc dès lors applicables à toutes relations de ce genre, prévient le ministère, qui attribuera ses verdicts en fonction « de la nature, de la gravité et du caractère répétitif » des manquements en question.
Une université, un cégep ou une école secondaire/primaire qui, à une occasion ou une autre, ne se conformerait pas à cet aspect de la loi pourrait d’ailleurs se voir imposer des mesures de surveillance et d’accompagnement de manière hebdomadaire.
Des forces et des faiblesses
Il existe de nombreux moyens d’agir sur cette problématique, aux dires du président de l’Union étudiante du Québec (UÉQ), Simon Telles. Celui-ci prévient toutefois qu’il faut demeurer prudents. « On ne doit pas tomber dans le piège de simplement mettre fin au lien pédagogique lorsqu’il y a connaissance de l’existence d’une relation intime, croit-il. Cela ne fait que mettre une pression supplémentaire sur l’étudiant(e), qui risque de ne pas porter plainte pour éviter de compromettre son parcours académique. »
Même s’il reconnait que le code de conduite de la ministre David est « un excellent moyen de réglementation », inspiré des plus grandes universités américaines comme Harvard et Yale, le président de l’UÉQ souligne une grande faiblesse, lui qui a participé à toutes les consultations dans la dernière année et rencontré la ministre David à plusieurs reprises sur le sujet.
« La principale lacune, c’est que le gouvernement ne proscrit pas expressément ce type de relation. Il ne fait que renvoyer la balle aux administrations universitaires pour qu’elles élaborent un code. Bien que cette exigence pose clairement un jugement de valeur sur cette pratique, il ne l’interdit pas directement, ce qui nous fait craindre de voir apparaître des codes de conduite trop mous. » – Simon Telles
Malgré tout, Simon Telles reconnaît que le projet de loi contient « bon nombre de recommandations que l’UÉQ avait déposées au ministère cette année ». On parle notamment de l’implantation d’un guichet unique accessible dans chaque universités pour accompagner les victimes, d’un processus de reddition de comptes annuel et d’une obligation pour les rectorats de recenser le nombre de plaintes reçues à l’interne.
Des délais trop longs ?
Sur place lors de l’annonce du projet de loi la semaine dernière, l’UÉQ n’a pas caché son mécontentement quant à l’échéance pour les universités d’adopter la politique dans toute sa globalité. Dans les faits, les administrations campus ont jusqu’au 1er septembre 2019 pour concrétiser les demandes du gouvernement.
« Nous croyons que cette date nous amène beaucoup trop loin en réalité. On s’explique en fait très mal que l’on prive les personnes survivantes de précieuses ressources pour encore près de deux ans. » -Simon Telles
Il aurait été intéressant, selon lui, que l’État québécois instaure un processus de signalement gouvernemental, « afin que les étudiant(e)s puissent attirer l’attention de la ministre sur une problématique précise d’application de la loi », eux et elles qui vivent ces enjeux au quotidien, explique-t-il.
« Du côté des associations étudiantes universitaires, il faut offrir du soutien et de la formation aux organisateurs et aux organisatrices d’activités sociales pour bien les outiller, ajoute Simon Telles. On ne peut pas s’assurer que le consentement sexuel est valide, parce qu’il peut être influencé par la relation de pouvoir qui existe entre les parties. »
Plus loin encore, ces délais « beaucoup trop longs » confèrent, selon l’UÉQ, un degré d’autonomie très large aux universités. « Ça nous fait craindre qu’il y ait des disparités importantes entre les politiques, en fonction de l’endroit où on poursuit nos études », lance le président, qui étudie pour sa part à Montréal.
L’Université Laval en pleine réflexion
Depuis l’annonce de la loi sur les violences à caractère sexuel, l’Université Laval affirme qu’elle a lancé un processus de réflexion exhaustive à l’interne pour bien appliquer les grands pans de la nouvelle loi. « Comme toutes les autres universités au Québec, nous sommes présentement en réflexion très sérieuse, et surtout, nous sommes plus qu’ouverts à ce projet ».
Sur la question plus spécifique des relations intimes entre profs et étudiants, la porte-parole de l’institution, Andrée-Anne Stewart, est catégorique : il faut travailler là-dessus de manière très rigoureuse.
« Là-dessus, notre réflexion implique surtout de se questionner sur l’application d’un tel encadrement, explique-t-elle. Chose certaine, on croit que ça pourrait être adopté assez rapidement si les consultations se déroulent bien. » Elle affirme donc que son équipe administrative se prépare à publier un code de sanctions précis et éclairé.
L’Association des étudiant(e)s inscrits aux études supérieures (AELIÉS) présentera d’ailleurs un rapport sur la question ce jeudi, dès 11h30 au Café FOU AELIÉS sur le campus.
« Il s’agira principalement, pour notre présentation, d’exposer les données préliminaires du sondage que nous avons envoyé au courant du mois d’octobre à tous les étudiant(e)s des cycles supérieurs à l’UL, conclut le président de l’association, Pierre Parent Sirois. Notons toutefois que notre mémoire en cours de rédaction porte sur l’encadrement de la relation en général, et non seulement la relation intime entre professeur et étudiant. »