Le premier roman de Niviaq Korneliussen, Homo sapienne, publié aux éditions La Peuplade, est un excellent ouvrage qui a le mérite d’être à la fois un coup de poing et un cœur ouvert qui nous est tendu.
Premier écrit du Groenland à récolter un succès hors frontière, l’histoire est divisée en cinq chapitres surtout centrés sur la sexualité d’un personnage. Fia est la fille prise dans une relation parfaite, mais ennuyante, qui découvre qu’elle est lesbienne. Inuk l’homophobe, Arnaq la fêtarde bi, Ivinnguaq le tomboy trans et Sara, celle qui redécouvre l’amour et la vie, complètent la liste de personnages.
Si le livre a beaucoup été décrit comme une dénonciation de l’hétéronormativité au Groenland, c’est plus qu’un manifeste LGBT qui aurait facilement pu être un mélange de colère contre la société et de complaisance sur sa propre situation. On sent à chaque page l’humanité des personnages, les questionnements qui bouleversent tous et chacun et cette sorte d’onde de fond, inarrêtable, mais pourtant si dure à percevoir qui les traversent.
C’est un livre humain, terriblement honnête et exempt de toute prétention. On apprécie aussi ce sens de l’individualisme et de la responsabilité brandi haut et fièrement par l’auteure. Pas d’apitoiement sur son sort, pas de fatalisme, mais une volonté de critique de son pays et une mentalité revendiquant fièrement le fait de s’extirper du post-colonialisme.
Les personnages connaissent leurs malheurs, souffrent, mais n’abandonnent jamais et sont les architectes de leurs propres résurrections. En fait, plus qu’un livre sur les LGBT, c’est un livre sur la résurrection. Chaque personnage chute en début d’histoire, affronte ses démons pour ressortir régénérés. C’est un livre qui redonne espoir en la vie sans avoir le besoin d’en cacher la saveur grise et poisseuse qui colle en bouche de temps en temps.
Un livre respectant ses origines
Quant au fait que c’est un livre groenlandais, l’approche est intéressante. Le livre est le plus grand succès de vente sur l’île jamais enregistré. Retraduit en danois par l’auteure elle-même, il s’est révélé un succès surprise sur le continent et ne cesse de se faire connaître depuis.
Déterminé à sortir des limites complaisantes auxquelles s’astreignaient jusqu’à maintenant les auteurs du pays, le roman est un parfait équilibre entre une reconnaissance et une émancipation simultanée de ses racines. Le texte est parsemé de références à la culture traditionnelle inuk et ses lieux, sans nous donner l’impression d’être un récit ethnographique.
Nuuk sonne comme n’importe quelle capitale, avec ses bars, ses banlieues, ses autobus et ses fêtes. Le langage est à la base un intéressant mélange de danois, d’anglais et de groenlandais, et la traduction a fait un très bon travail pour avoir su préserver la saveur de toutes ces langues dans la bouche d’une seule personne. Le style d’écriture n’en est que plus parfait: cru, direct, sans pitié, naif, sans compromis. C’est débordant de vie, de désespoir, de rage d’exister, d’espoir de recommencer. À lire sans aucun doute si on n’est pas encore complètement blasé de la vie.