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Rendre la ville intelligente, ou presque

« La population urbaine à l’échelle planétaire croît à une vitesse qu’on n’avait certainement pas connue jusqu’à maintenant », affirme Stéphane Roche, professeur du Département de sciences géomatiques de l’Université Laval lors de sa présentation du 15 mars à la bibliothèque Gabrielle-Roy. Le sujet de sa conférence, la ville intelligente, se situe parfaitement dans ce contexte d’urbanisation croissante. 

« Si aujourd’hui, c’est environ 50% qui sont dans les villes, la proportion pourrait atteindre les 75% ou 80% », précise le professeur, en se fiant aux prévisions de l’ONU. Selon lui, cela pourrait poser des défis et des problèmes autant économiquement, environnementalement que socialement. C’est donc d’où part l’idée de rendre les villes plus «intelligentes»: en faisant appel aux technologies numériques pour améliorer leur capacité de réponse.

Certaines questions comme l’intégrité et la justice spatiale sont particulièrement pertinentes dans la ville de Québec, annonce M. Roche. « À Québec, cela se traduit par une différence dans l’espérance de vie de sept ans entre la Basse-Ville et la Haute-Ville », donne-t-il en exemple.

M. Roche mentionne le onzième objectif de développement durable de l’ONU comme base de réflexion. Cet objectif vise à «faire en sorte que les villes et les établissements humains soient ouverts à tous, sûrs, résilients et durables».

Le siècle des villes

L’attrait des villes intelligentes s’imbrique dans un contexte où les villes réclament de plus en plus de pouvoir et d’indépendance. « On voit cet effet par la personnalité de notre maire à Québec, rigole le professeur, mais on peut aussi penser aux villes sanctuaires aux États-Unis. »

Portées par cette envie, les municipalités se réseautent maintenant beaucoup plus entre elles, comme c’était le cas en Europe durant les temps plus anciens. M. Roche donne en exemple le cas des grandes métropoles maritimes, les principaux lieux de commerce de l’époque. Selon ce qu’il rapporte, dans ces villes, les capitaux privés détenaient la majorité du pouvoir et c’était les grands marchands qui prenaient les décisions.

« Ces géantes entreprises sont les seules avec des moyens pour créer des villes et les transformer. Elle peuvent aussi les mettre en compétition entre elles, comme l’a fait Amazon. »

Le professeur s’inquiète de voir la même chose se reproduire avec les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft) et leur désir de jouer des rôles majeurs au sein des cités numériques.

Bill Gates a d’ailleurs récemment investi 80 millions de dollars pour la construction d’une ville intelligente dans le cœur de l’Arizona. M. Roche trouve ce genre de projets de création de municipalités bien particulier. Il se pose des questions par rapport à leur gouvernance et à leur démocratie si ce sont des capitaux privés qui les ont créées.

De plus, s’appuyant sur l’histoire, il doute de la survie des municipalités fondées dans ce modèle. « Il n’y a pas beaucoup d’exemples de villes qui n’auraient pas été créées par des citoyens qui ont survécu », relate le professeur. Selon lui, face à ces géants, les citoyens doivent être prêts à agir comme contre-pouvoir.

Technologies et intelligence

D’après M. Roche, le fait de doter des villes de stratégies numériques ne signifie pas de mettre de la technologie partout. « C’est plutôt l’idée de repenser l’organisation humaine, selon une approche d’ouverture, de réseau et d’échange avec l’appui d’applications numériques », souligne-t-il.

Le modèle qu’a développé le professeur est bâti sur cette présomption de la société mondialisée et connectée du XXIe siècle. À partir de cette base, il énumère ce qu’il considère comme les pierres d’assises de la ville intelligente:

  • L’agilité et l’adaptabilité;
  • L’ouverture quant à sa gouvernance et sa démocratie;
  • Les capacités d’apprentissage sur ses propres dynamiques urbaines;
  • L’inclusivité face à l’accroissement de la population ainsi qu’en considérant les réalités de chacun;
  • La résilience, entre autres dans un contexte de climat changeant;
  • L’«intelligence urbaine», définie comme étant la compréhension qu’a la collectivité par rapport à sa ville.
Stéphane Roche, lors de la conférence sur les villes intelligentes
Stéphane Roche, professeur du Département de sciences géomatiques, est toujours avide à explorer une panoplie de sujets. « C’est pour ça que je suis rester à l’université, on reste d’éternels étudiants », raconte-t-il, farceur. (Crédit photo : Érik Chouinard)
De 1.0 à 3.0

Le professeur découpe l’évolution des villes intelligentes en trois vagues. Dans les premiers temps, les grandes entreprises du domaine numérique partent le bal, en cherchant à s’associer à des municipalités. « Ça a été le cas avec IBM et Mexico, où là, ces grosses compagnies se sont dit que la technologie doit pouvoir servir de ressort et rehausser la capacité de réponse des infrastructures urbaines », relate M. Roche.

Ces partenariats devaient servir de démonstration de villes technologiquement plus efficaces et optimisées, que ce soit par rapport au transport ou au réseau d’aqueduc, par exemple. « Les administrations municipales se sont toutefois dit, c’est bien joli tout ça, mais on perd le contrôle, on ne doit pas laisser les grandes entreprises décider de nos choix et priorités pour nous », révèle M. Roche, expliquant l’apparition progressive d’un deuxième mouvement.

Toutes les villes ont leurs particularités, tel que l’explique M. Roche. Alors que les grandes entreprises semblaient préférer l’application de modèles plus standards, dans cette deuxième vague, la question de l’adaptation des technologies aux contextes locaux prend beaucoup plus d’ampleur. « C’est le cas de Barcelone qui a décidé d’appliquer ces systèmes avec parcimonie, ciblant les points où il y avait des problèmes. Plutôt que d’avoir un seul grand projet, la ville s’est retrouvée avec 20, 30 ou 40 projets différents », précise le professeur.

Dans un troisième temps, là où l’évolution en est rendue aujourd’hui, c’est la population qui est beaucoup plus prise en compte. « On a beau décider d’implanter telle infrastructure à tel endroit, si les citoyens décident de la vivre autrement, ils le vivront autrement. La ville, ce n’est que ce qu’en font les gens qui l’habitent», déclare le professeur.

 

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