De nouvelles valeurs

Les Québécois sont superficiels, désorientés, instables et attirés par des valeurs superficielles. Ce constat, établi par le cardinal Marc Ouellet, est peu flatteur envers la société québécoise. Portrait sociologique s’il en est un, on ne peut malheureusement lui donner tort. Il serait faux de prétendre le contraire. Mais tous ces défauts ont toujours existé dans la belle province; ils étaient seulement camouflés par la peur et l’ignorance. À une époque où le marché de la consommation régule les faits et gestes de la population, il est évident que ces carences ne peuvent que se retrouver multipliées. La rupture spirituelle vécue au Québec est, selon le cardinal, responsable du fait que le Québec va mal. Le retour à l’évangélisation serait donc, pour Mgr Ouellet, la solution de tous les maux.

Le primat de l’Église catholique canadienne s’appuie sur la hausse importante du nombre d’avortements et de divorces et sur la baisse du nombre de mariages. Vrai aussi qu’il y a beaucoup trop de suicides au Québec si l’on compare les chiffres avec la moyenne des pays occidentaux. L’erreur du cardinal, comme à chacune de ses sorties publiques souvent fortement médiatisées, c’est d’ignorer un grand pan de l’histoire. Peut-être s’est-il déjà excusé pour les torts causés à une partie de la population, mais cela ne peut suffire à réconcilier le Québec avec l’Église.

On ne peut associer l’indice de bonheur d’une population au taux de fréquentation à la messe du dimanche, comme il le fait. Je ne crois pas que les Québécois sont malheureux. Au contraire, ils sont plus libres qu’à l’époque de la Grande Noirceur. Les femmes ont gagné le contrôle de leur corps, l’éducation et la santé sont hautement accessibles, les possibilités d’épanouissement professionnel sont nombreuses et la liberté d’expression est presque sans limite.
Les Québécois ont déserté le temple de Dieu car le message véhiculé à l’intérieur de ses murs ne correspondait plus à leurs aspirations et à leur vision de l’avenir. Au tournant des années 1960, l’erreur n’est pas venue des fidèles. Elle est venue de l’Église qui n’a pas su adapter son message et ses valeurs à la soif d’indépendance personnelle et sociale du Québec. Au lieu d’accompagner la population dans sa nouvelle quête, l’Église s’en est dissociée, rognant sur son pouvoir perdu.

Ce que le cardinal oublie également, c’est que la croyance n’a rien à voir avec l’Église. Dimanche est aujourd’hui un jour comme n’importe quel autre de la semaine. Ça n’empêche pas les gens de croire et d’avoir une vie spirituelle. On peut croire et prier à la maison, comme on peut être maniaque de hockey sans jamais mettre les pieds au Centre Bell. Le plus pathétique dans ce discours réside dans l’entêtement et l’aveuglement des ténors catholiques. Incapable de s’adapter à la réalité d’une société qui ne reviendra pas en arrière, les principes figés dans une époque à laquelle il ne reste encore que quelques témoins, l’Église regarde la parade passer en refusant d’admettre qu’elle est arriérée, déconnectée et de plus en plus isolée dans la société québécoise. Ce n’est pas aux Québécois à s’évangéliser de nouveau, c’est à l’Église de socialiser. Le Québec a toujours les mêmes valeurs. De nouvelles s’y sont cependant ajoutées. Le défi est maintenant de trouver l’équilibre entre l’héritage catholique et la réalité du monde d’aujourd’hui.

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