John Cassavetes est un réalisateur gréco américain à l’origine d’une douzaine de longs-métrages au cours de sa carrière. Il a également été acteur ; il s’est mis en scène dans quelques-uns de ses films, mais il a aussi participé à environ 80 oeuvres filmiques, théâtrales et télévisuelles du début des années 50 jusqu’à sa mort en 1989. C’est un pionnier en ce qui a trait au cinéma improvisé, au cinéma indie et ce qu’on appelle le cinéma-vérité. Ce texte mentionnera six de ses films : Shadows, Faces, A Woman Under the Influence, The Killing of a Chinese Bookie, Opening Night et Love Streams, mais s’attardera principalement sur A Woman Under the Influence, un incontournable avec Gena Rowlands dans le rôle principal.
Cette année 2019 marque plusieurs anniversaires en lien avec John Cassavetes : son tout premier film, Shadows, avec des dialogues complètement improvisés, est sorti en 1958, mais il y a eu une réédition du film un an plus tard, avec des dialogues écrits ; 2019 marque donc le soixantième anniversaire de cette réédition. Son plus grand film en carrière, A Woman Under the Influence, est sorti en 1974, il y a 45 ans, et le 3 février dernier marquait le 30e anniversaire jour pour jour du décès du réalisateur.
John Cassavetes est un cinéaste qui aime mettre en scène des personnages dits « marginaux » dans une société, comme les artistes, les prostituées, les bandits, les gens vivant avec des troubles de santé mentale, que ce soit la dépression ou le trouble de la personnalité limite (TPL), notamment. Shadows raconte les difficultés que vivent trois frères et soeurs vivant à New York, les deux frères sont Noirs, mais la plus jeune sœur ne l’est pas, et elle n’est pas à l’aise avec ses origines, ni son amoureux, d’ailleurs. Faces, sorti en 1968, suit l’histoire d’un couple infidèle ; le film peint un portrait négatif des businessmen, ces derniers passant leur temps à fricoter avec des prostituées. Dans The Killing of a Chinese Bookie, sorti en 1976, le focus est mis sur un petit bandit propriétaire d’un bar de danseuses en Californie. Opening Night, sorti un an plus tard, est un drame où l’on suit les tribulations d’une troupe d’acteurs de théâtre pendant les répétitions d’une pièce jusqu’à la première. Love Streams, quant à lui, porte à l’écran une femme souffrant de dépression en raison de son divorce éprouvant. Elle se réfugiera dans les bras de son frère qui, lui également, rencontre sa part de problèmes. A Woman Under the Influence raconte la vie d’une mère de famille et femme au foyer souffrant d’un trouble de personnalité limite. Comme on peut le voir, Cassavetes s’intéresse à des thématiques et à des personnages peu abordés dans la plupart des films populaires.
Shadows
Avec Shadows, Cassavetes a réussi un tour de force majeur dès le début de sa carrière. C’est un film qui a eu une grande influence sur le cinéma québécois. Son aspect improvisé et cinéma-vérité rappellent beaucoup les documentaires québécois associés au cinéma direct de la fin des années 50 et des années 60, que l’on pense à des films comme Pour la suite du monde, réalisé par Pierre Perrault en 1963, la figure de proue du cinéma direct québécois. Les années 50 aux États-Unis étaient une période particulièrement éprouvante pour les droits des Noirs. Peut-être moins à New York, mais pour Cassavetes de réaliser un film avec des Noirs, musiciens de jazz, plutôt que dans des rôles de servants et d’esclaves démontrait l’ouverture d’esprit du réalisateur à leur égard, et pour cela il mérite une mention digne de ce nom. Il était en avance sur son temps à plusieurs niveaux.
Troubles à l’écran
Le réalisateur américain était également en avance sur son temps par sa manière de dépeindre les différents troubles de santé mentale dans ses films. C’est surtout à travers Love Streams, sorti en 1984, et A Woman Under the Influence, sorti 10 ans plus tôt, où le traitement en est particulièrement intéressant. Dans les deux films, Gena Rowlands joue le rôle principal. Pour la petite histoire, Gena Rowlands fut la plus fréquente collaboratrice de John Cassavetes, ayant jouée dans neuf de ses douze films. Les deux furent mariés pendant 35 ans, soit de 1954 jusqu’à la mort du réalisateur en 1989.
Dans son grand classique de 1974, Rowlands joue le rôle de Mabel, une femme au foyer marié à Nick Longhetti (Peter Falk), un homme travaillant dans le milieu de la construction. Lors d’un dîner avec son mari et ses collègues de travail, les soupçons de Nick sont éveillés par le comportement quelque peu inhabituel de Mabel. Sans jamais que le trouble ne soit nommé dans le film, on finit tout de même par comprendre qu’elle a un trouble de personnalité limite. De manière simpliste, ce trouble est caractérisé notamment par des difficultés relationnelles, des émotions en dents de scie. Gena Rowlands offre une performance magistrale, on sent qu’elle n’a pas de jugement négatif envers son personnage, elle réussit à rendre son personnage attachant et humain aux yeux du public. Elle a d’ailleurs reçu une nomination aux Oscars pour ce rôle. Au courant du film, nous nous rendons compte que son mari Nick n’est pas nécessairement mieux placé pour s’occuper de leurs enfants. Il a des manières assez rustres de réagir face au problème de santé mentale de sa femme, mais on sent néanmoins qu’il n’est pas mal intentionné pour autant. Il s’agit également d’une solide performance de la part de Peter Falk, parce que toute en subtilité malgré la grandiloquence de ses émotions à certains moments.
Pour ce qui est de Love Streams, l’avant-dernier film du réalisateur en carrière, Gena Rowlands y joue le rôle de Sarah Lawson, une femme traversant un divorce éprouvant et souffrant de dépression au même moment. Encore une fois, c’est une magnifique interprétation de la part de Rowlands, on ressent énormément de compassion face à son personnage en regardant le film. Son frère, Robert Harmon, interprété par John Cassavetes lui-même, est un playboy alcoolique qui, à un certain moment dans le film, doit prendre la responsabilité du fils de sa sœur pendant 24 heures. Cependant, l’enfant prend la fuite en voyant la maison délurée de son oncle, où ce dernier vit avec plusieurs femmes. C’est aussi une belle performance de Cassavetes, parce qu’on ne prend pas son personnage en grippe malgré son caractère antipathique. Comme dans A Woman Under the Influence, le trouble de santé mentale du personnage principal n’est jamais nommé.
John Cassavetes est un réalisateur intéressant sur le travail duquel le cinéphile gagne à s’attarder, pour son travail esthétique, sinon pour sa mainère humaine de mettre en lumière les gens dits « marginaux » dans une société. Quelques décennies plus tard, ses films sont toujours autant d’actualité et remplis de tendresse, de nuances et de compréhension.