Sarah Mongeau-Birkett

Les mirages des réseaux sociaux

Cet été, dans La Presse, je suis tombé sur une enquête fort intéressante réalisée par Émilie Bilodeau. La journaliste tentait de démontrer qu’il est possible de devenir influenceur ou influenceuse en trichant. Elle s’est créé un faux compte Instagram intitulé The Pretty Runner et s’est acheté des likes, abonnements, mentions, partages, etc. dans le but de mousser sa popularité. Une pratique qui semble courante comme on peut le voir dans son article. Je me suis entretenu avec la journaliste pour discuter du processus derrière l’enquête.

Par William Lapierre, chef de pupitre société

Je suis un peu cancre dans le domaine des réseaux sociaux. Pour une multitude de raisons, je n’ai jamais réellement embarqué dans la game des Facebook, Instagram, Snapchat de ce genre. Pourtant, tout ce qui gravite autour des réseaux sociaux m’intrigue. Surtout les influenceurs et influenceuses de ce monde avec leur mode de vie à faire rêver.

Voyage autour du monde, commandite, cadeau et cliché magique tout en sourire et tout en plaisir. La vie d’un influenceur semble incroyable. Comme je ne suis pas plus fou qu’un autre, je me suis demandé si moi aussi je pouvais aspirer à ce glorieux mode de vie. Est-ce faisable de devenir influenceur sans être une vedette ? Si oui, est-ce que je dois vendre mon âme au diable ? C’est au beau milieu de ces questionnements existentiels que je suis tombé sur l’article d’Émilie Bilodeau. Un article qui a complètement chamboulé ma façon de voir les choses.

De façon très simpliste, un influenceur est un terme désignant toute personne qui dispose d’une notoriété sur une thématique spécifique au travers du web et notamment des réseaux sociaux. Ils sont vus comme des leaders d’opinion pouvant affecter les comportements d’achats de leurs abonnés. La collaboration très étroite avec le monde de la publicité et du marketing est donc extrêmement naturelle.
‒ Le journal du CM en ligne

La genèse

« On se demandait si c’était vrai qu’on pouvait acheter des abonnés et des mentions J’aime. On se doutait que c’était vrai, mais on se demandait à quel point c’était facile, me raconte au bout du fil Émilie Bilodeau. On s’est créé un compte Instagram à partir de rien, et on a essayé de faire croitre le compte de façon naturelle. C’était hyper lent. Par la suite, c’est là qu’on a décidé d’utiliser des outils pour agrandir notre communauté », enchaine-t-elle.

« Dès le départ, on savait qu’on allait avoir besoin d’utiliser des outils, mais on voulait comparer. Pendant un mois, j’ai laissé le compte rouler de façon naturelle. Je suivais des gens dans l’espoir que des gens me suivent à leur tour. Je commentais énormément de publications », explique la journaliste.

« J’ai passé beaucoup de temps sur mon compte Instagram et je me suis fait seulement une centaine d’abonnés. Ç’a été vraiment lent et demandé beaucoup d’énergie. C’est par la suite qu’on a décidé d’utiliser des robots », ajoute-t-elle.

En effet, malgré tous les efforts, le compte stagne et a de la difficulté à prendre de l’ampleur. Il ne reste qu’une solution : se tourner vers des techniques peu éthiques. Photos truquées, des robots générant de l’activité sur la page, des abonnés fantômes, tout est bon pour arriver à ses fins. Et Ô que les fins ont été arrivées. En quelques
mois seulement, des entreprises telles que Republik, Oasis, la Banque Scotia et la Ville de Montréal lui ont offert plus de 3500 $ en argent et en cadeaux. La journaliste fait affaire avec des sites vendant des abonnés. Pour la modique somme de 75$, le compte The Pretty Runner gagne 15 000 abonnés. « Eux [les compagnies] pensaient que je m’adressais à 15 000 personnes, mais, dans le fond, il y en avait peut-être 500 qui étaient vraies. »

Pourquoi les entreprises sont-elles prêtes à payer ?

« C’est une aubaine pour eux, ce n’est pas cher payé pour de la pub, ils se disent qu’ils font une bonne affaire. Le problème c’est qu’il n’existe pas d’outils pour détecter le nombre de faux abonnés », m’explique madame Bilodeau. Effectivement, une commandite ou un cadeau de 1000$ est peu cher pour s’adresser à un public ciblé de 15 000 personnes. Les entreprises se font donc parfois berner, mais la plupart du temps les influenceurs ont un public bien réel. C’est un risque qu’ils sont prêts à courir.

La fin justifie les moyens

Je suis d’avis qu’il s’agit d’une forme de fraude, mais Émilie Bilodeau n’est pas aussi sûre que moi. « Fraude, je ne sais pas, mais il y a de la malhonnêteté, c’est certain. Ce que je déplore, c’est qu’il n’y a pas d’outils grand public pour savoir qui en utilise [des faux abonnés] et qui n’en utilise pas. À l’ère des fake news, ce serait fun de savoir qui gonfle ses nombres. » Elle poursuit en affirmant que, selon elle, un nombre marginal d’influenceurs ont recours à des robots. « C’est leur nom, c’est leur marque. Il y’en a plusieurs qui travaillent fort. »

Reste que lors de son enquête plusieurs Instagrammeurs et Instagrammeuses bien connues ont dû avouer avoir eu recours à ces pratiques douteuses. Jessie Nadeau d’Occupation Double et Varda Étienne pour ne nommer que celles-ci faisaient partie du lot.

Il y a un malaise évident lorsque la journaliste expose ses trouvailles. « C’est sûr que quand je questionnais les gens sur les robots, personne ne voulait me le dire d’entrée de jeu. Les gens cachent ça. Personne ne veut le montrer. Les gens n’étaient pas à l’aise d’en parler. »

Émilie Bilodeau relativise : « Ce n’est pas facile se démarquer sur Instagram. Plusieurs influenceurs
voient leur communauté stagner, d’où l’attrait des robots ». Le mode de vie tant glamour et tant recherché peut être relativement atteignable si l’on est prêt à tricher. En deux mois, The Pretty Runner s’est fait offrir 3 500 $ en cadeaux et argent. C’est une excellente façon d’arrondir ses fins de mois.

Je vous conseille fortement d’aller jeter un coup d’œil à l’article intitulé Comment devenir influenceuse (en trichant) disponible sur le site internet de La Presse.

Bonne lecture !

Quelques influenceurs québécois
Marilou 294 000 abonnés
Lysandre Nadeau 318 000 abonnés
Pierre-Luc Cloutier 102 000 abonnés
Cynthia Dulude 180 000 abonnés
Alicia Moffet 373 000 abonnés
P-O Beaudoin 53 000 abonnés

 

 

 

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