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La Chine et les États-Unis, une histoire complexe

Alors que la première puissance mondiale semble avoir dans sa mire la Chine, la plupart des observateurs y voient une agression pour déstabiliser un rival. Seulement, derrière les diatribes du président américain, il y a des enjeux beaucoup plus complexes qu’ils n’y paraissent et des points géopolitiques qui sont susceptibles de changer le rapport de force au niveau mondial.

Par Jimmy Lajoie, journaliste collaborateur

Pour bien comprendre la situation entre les deux premières puissances économiques, il faut aussi comprendre comment elles ont développé leurs relations diplomatiques et économiques, depuis l’après-guerre. En 1949, la Chine se retrouve coincée dans les marasmes de la guerre froide. Lorsque le communisme devient l’idéologie première de celle-ci avec Mao Zedong à sa tête, elle est de facto considérée comme faisant partie du bloc de l’Est aux côtés de l’URSS. Tout comme ce dernier pays, l’Amérique coupe tous les contacts avec la nouvelle République populaire de Chine. Les États-Unis soutiennent comme gouvernement légitime la République de Chine de Tchang Kaï-Chek, réfugié sur l’île de Taïwan.

La traversée du désert

À la fin des années 1950, Mao prend ses distances avec l’Union soviétique dirigée par Staline. La Chine veut atteindre l’autarcie et bien que les deux pays soient sous la même doctrine, ce sont des éléments nationaux qui font diverger les deux alliés. L’essence même de leur alliance n’est soutenue que par leur hostilité commune envers les États-Unis. Aussi, Mao ne digère pas que Staline ait pris un arrangement, avant l’ascension des communistes, avec les nationalistes de Tchang, et avait même conseillé à Mao de s’entendre avec le dirigeant, plutôt que de lui faire la guerre. De plus, après la mort de Staline, Kroutchev, maintenant à la tête de l’URSS, refusa l’arme atomique à la Chine. L’orgueil de Mao et la prudence des Soviétiques face à la nouvelle République populaire de Chine, fut la première porte qui s’ouvrit pour permettre une éventuelle relation sino-américaine.

Du côté américain par contre, nous sommes en pleine période de Maccarthisme. Une période nommée ainsi en raison des frasques du sénateur Joseph McCarthy qui s’est donné comme mission d’enrayer les communistes des États-Unis. Du plus petit des mouvements, jusqu’aux communistes ouvertement assumés. Des dirigeants politiques sont accusés, ainsi que des artistes d’Hollywood. Le contexte social et politique du pays ne permettra toujours pas un rapprochement des deux pays. La situation va cependant évoluer tranquillement pour que l’un et l’autre soient contraints de s’asseoir à la table des négociations.

L’horizon

Les États-Unis comme la Chine sont ainsi cantonnés chacun dans leurs retranchements et ce, malgré que les deux pays gagneraient à développer des relations bilatérales. La Chine, encerclée par l’armée américaine qui est stationnée à Taïwan, au Japon, en Corée du Sud et sur de nombreuses îles du Pacifique, se retrouve dans une position précaire, d’autant plus que la guerre du Vietnam éclate durant les années soixante. Cependant, les États-Unis voient l’occasion d’étendre leur influence avec le refroidissement susmentionné entre la Chine et l’URSS, et l’oncle Sam ne compte pas laisser passer cette opportunité.

Pour les Américains, il est inconcevable de laisser l’empire du Milieu retourner vers le bloc de l’Est. Si les Russes voient en la Chine une main d’œuvre inépuisable ainsi qu’un pays de poids pour influencer la géopolitique internationale, les États-Unis y voient un marché à développer et inéluctablement, une force sans équivoque contre l’influence des Soviétiques. Toutefois, outre la guerre du Vietnam mentionnée plus haut, la décennie des années soixante voit aussi son lot de problèmes internes en Amérique, qui rendent impossible pour le moment un réchauffement des relations entre les deux géants. La position des États-Unis sur des enjeux tels que la légitimité des revendications du gouvernement taïwanais, la négligence des droits humains dont Pékin fait preuve et son hostilité face au Tibet, sont autant de raisons qui séparent les deux nations. Notons aussi que le débarquement manqué de la baie des Cochons, la crise des missiles cubains, l’assassinat de John F. Kennedy, sont tous des facteurs qui concentrent le pays sur d’autres objectifs.

Il faut attendre le début des années soixante-dix pour que les deux pays amorcent des discussions qui ont pour mission d’aboutir au développement de relations diplomatiques et commerciales. En 1971, débute ce qu’on connaît aujourd’hui comme étant la diplomatie du ping-pong. Les Américains se rendent au Japon pour le 31e Championnat du monde de tennis de table et la Chine profite de l’occasion pour inviter l’équipe américaine. C’est de cette façon que le 12 avril 1971, pour la première fois depuis 1949, une équipe sportive venant des États-Unis foule le sol chinois accompagnée de journalistes.

La porte est donc ouverte pour entreprendre un rapprochement, offrant, par la même occasion, la possibilité au président Richard Nixon d’enclencher le processus de discussion, sans avoir à faire le premier pas. Rappelons que Nixon était un farouche opposant au communisme. En février 1972, le président des États-Unis se rend donc en Chine, la première visite d’un président américain dans ce pays, et le geste sera considéré comme une des étapes les plus importantes de la normalisation des relations sino-américaines.

Une drôle d’amitié

La Chine fonctionne sous un régime autoritaire fort, voire totalitaire. La doctrine du pays est donc aux antipodes de celle des États-Unis. Comment concilier l’idéologie marxiste avec celle du capitalisme sans perdre en légitimité ? En somme, comment devenir ami avec son ennemi, et rester cohérent devant le peuple ? Car tous les régimes autoritaires ou totalitaires, reposent sur un contrôle serré de la population, contrôle possible de deux manières. La première est par la peur, la seconde c’est en galvanisant la population vers une idéologie commune, idéologie souvent soutenue par la promesse d’un monde utopique. Il semblerait que la solution des deux nations reposait sur un concept qui aujourd’hui, nous semble très simple. Tout le monde connaît l’adage « business is business », eh bien c’est là que repose la clé des relations sino-américaines. Prendre ce qui nous convient, travail, connaissance et bien sûr, l’argent. Et laisser de côté la politique, du moins en apparence. D’un côté, les Chinois acquièrent du travail et des connaissances, attention, il y a un joli paradoxe ici, il ne faut pas croire qu’ils n’en retirent pas d’argent ! Et de l’autre, des profits assurés et assumés pour les entreprises et actionnaires de ces dernières.

Les grandes entreprises américaines commencèrent ainsi à s’installer sur le sol chinois, profitant d’une main d’œuvre à bas coûts, les Chinois commencèrent à avoir accès aux grandes universités américaines et de plus en plus de visas ont commencé à être octroyés pour que les deux peuples puissent s’installer et voyager dans les deux pays respectifs. Le parti communiste chinois s’est vu obtenir la reconnaissance internationale comme gouvernement légitime de la Chine et a reçu un siège permanent au Conseil de sécurité de l’ONU.

Par la suite, on vit Deng Xiaoping accéder au poste de Secrétaire général du parti communiste et devenir le numéro un du pays. L’espoir de voir la Chine se libéraliser se concrétisa, en partie, avec l’ouverture de son économie et un certain relâchement du diktat politique, quoiqu’encore bien loin des démocraties représentatives de l’Occident. Il faut aussi souligner que la méfiance n’a jamais complètement disparu entre les deux pays.

2001

Au début des années 2000, un paradoxe persiste au niveau de cette relation qui en est maintenant une de co-dépendance. Malgré les événements de la place Tiananmen —protestation monstre des Chinois pour la démocratie qui s’est terminée en bain de sang— et la chute du bloc de l’Est, la confiance entre les deux pays n’est toujours pas acquise. Aussi, un dilemme cornélien s’impose pour les États-Unis. Comment justifier une telle relation devant le peuple américain, et même occidental, après le massacre d’étudiants chinois, par le gouvernement chinois lui-même ? De la même façon que le cautionnement de tous les autres États voyous supportés par les pays occidentaux, dénonciations publiques et sanctions de la part de l’Amérique et de ses alliés de l’Occident.

Le pays se voit tout de même accepté dans l’OMC (Organisation mondiale du commerce), 12 ans plus tard. L’acceptation de la Chine est principalement due au fait que les États-Unis croient que la Chine n’aura pas le choix de se démocratiser, si elle veut atteindre la richesse économique.

Tout au long des années 2000, la Chine se voit entrer dans la cour des grands, mais demeure très protectionniste au niveau de son économie. Par exemple elle refuse de laisser le yuan, sa monnaie, être évaluée par les normes internationales et use du terme d’économie socialiste de marché. Elle manipule donc son économie, au delà du keynésianisme, déjà perçu comme un concept économique trop interventionniste mais tout de même toléré au sein de la communauté internationale, et empêche les augmentations trop drastiques du yuan, afin d’encourager ses exportations. Elle fixe plusieurs règlementations aux entreprises étrangères, comme l’imposition d’une compagnie « jumelle » chinoise, et profite du savoir-faire et des technologies que développent les autres sociétés. En revanche, elle est peu encline à s’ouvrir ce qui apporte son lot de mécontentement, et un sentiment d’extorsion des connaissances de la part de plusieurs nations.

Cependant, les bénéfices qu’en retirent entre autres, les États-Unis, et le laxisme occidental face à la menace potentielle du régime, une certaine tolérance face au non-respect des règles de l’OMC s’installe. La Chine joue son rôle d’usine du monde. Les Américains, qui sont les plus gros consommateurs de la planète, y trouvent leur compte, alors pour le dire ainsi, c’était gagnant-gagnant, et personne ne trouvait à redire sur le sujet.

Les années 2010

Dans les années 2010, le PIB —produit intérieur brut— de la Chine monte en flèche atteignant parfois les 10 % par année. À titre d’exemple, pour les économies matures comme la nôtre, 2 % d’augmentation représente une année normale et même une bonne année. Les entreprises chinoises se voient gagner en influence à l’international dans plusieurs domaines clés tels que la technologie par exemple, secteur névralgique à notre époque. En 2012, Xi Jinping devient le président de la Chine et durcit le ton. Voyant l’économie chinoise passer au deuxième rang, dépassant celle du Japon, il veut cesser d’être l’usine du monde. Il utilise le principe des entreprises jumelles afin de récupérer les technologies de leurs compétiteurs, et leur faire concurrence en utilisant sa propre main d’œuvre à bas coût comme atout majeur. Les violations aux règlements de l’OMC se font de plus en plus sans conséquence, et celle-ci est de plus en plus sommée d’agir. Le déficit commercial avec les États-Unis, qui prenait déjà de l’ampleur dans la décennie précédente, atteint un sommet record de 300 milliards de dollars américains. De plus, la politique du parti communiste chinois semble reculer sur les petits pas qu’elle avait faits quant aux droits de l’homme, et l’expansion à visée internationale de la doctrine communiste est maintenant assumée.

Politique américaine

Les États-Unis, toujours la puissance numéro un mondiale, voient une menace à l’ordre établi depuis l’après-guerre, et avec à la présidence un homme excentrique et impulsif comme Donald Trump, les tensions ne pouvaient qu’atteindre un niveau qu’on n’avait pas vu depuis l’accession au pouvoir de Mao Zedong. Seulement aujourd’hui, les deux pays ne peuvent plus simplement couper toute relation diplomatique. Les deux économies sont, jusqu’à une certaine mesure, dépendantes l’une de l’autre. L’Amérique voit aussi le projet de la nouvelle route de la soie de Xi Jinping, comme une astuce pour contourner son marché pour s’en émanciper, ainsi qu’aller jouer dans sa zone d’influence politique et économique, ce qui donnerait un poids énorme à l’empire du Milieu sur la scène internationale.

Malgré une puissance antagoniste émergente, les États-Unis demeurent jusqu’à maintenant gagnants dans le rapport de force. Advenant une crise majeure, ils pourraient toujours importer leurs produits d’un autre pays, à quelques exceptions près, et investir leurs capitaux, qui se comptent en milliers de milliards de dollars, dans une autre économie. Cette situation donnerait un coup probablement majeur à la croissance de la Chine. Seulement, agir ainsi diviserait le monde en deux et nous aurions une guerre froide 2.0, forçant ainsi les pays à s’aligner vers l’un ou l’autre des deux pays. Résultat, deux économies différentes dans le monde, et l’isolement, à nouveau, de deux blocs.

Le PIB américain demeure toutefois près de deux fois supérieur à celui de la Chine avec 20 000 G$ de dollars en 2017 contre 12 000 G$. Cependant la nouvelle politique protectionniste du président Trump, referme de plus en plus l’Amérique sur elle-même. La surtaxe de la Chine pour récupérer ce que le président estime avoir été volé à son pays, éloigne le but initial des États-Unis, la démocratisation de son rival à long terme. De plus, il semblerait que la Chine manipule ses chiffres, ce qui fait qu’elle peut influencer son économie comme bon lui semble.

Elle montre de plus en plus ses muscles et semble vouloir imposer sa politique en menaçant de sanctions quiconque ne lui obéirait pas. Par exemple, elle exige du Canada qu’il renonce à la séparation des pouvoirs, qui est la base d’une démocratie aboutie, en outrepassant le pouvoir judiciaire pour libérer Meng Wanzhou, directrice de Huawei communication, accusée de ne pas avoir respecté les sanctions imposées envers l’Iran.

L’avenir

Pour l’instant, si la guerre commerciale avec la Chine se poursuit, il pourrait en résulter une énorme crise économique et ni l’un ni l’autre n’en sortirait gagnant. Par contre, les États-Unis seraient davantage susceptibles de s’en sortir vu leur économie stable. Si la Chine prenait les devants, nous serions poussés à restreindre nos libertés aux exigences de la puissance émergente, car cette dernière aurait l’influence sur la géopolitique mondiale. Il ne faut pas croire que tous les pays deviendraient libres de toute influence extérieure. Reste à savoir si la population mondiale souhaite être sous l’égide chinoise ou américaine, ce qui pousserait les dirigeants à prendre des décisions en ce sens.

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