Crédits photo: Théatre de la Bordée

Rouge : un peu trop avant, juste assez après

Rouge. Fin des années 50 aux États-Unis. Mark Rothko, peintre expressionniste abstrait, reçoit une énorme commande d’œuvres et engage pour la mener à bien un jeune assistant. Celui-ci travaillera pendant deux ans auprès de son maître, et sera le témoin (et la victime) de ses humeurs fluctuantes.

Théâtre de La Bordée – 25 février au 21 mars 2020
Texte : John Logan (traduit par Maryse Warda) – Mise en scène : Olivier Normand

Par Emmy Lapointe, cheffe de pupitre aux arts

Name-dropping et un père à tuer
Bien que la pièce n’ait pas d’entracte, j’ai été incapable de ne pas la scinder en deux. Le premier quarante minutes, j’ai plissé les yeux pas mal. La relation prof-enseignant est un peu clichée et ne cache pas ses descendances freudiennes. C’est classique, Rothko est paternaliste, condescendant et name drop des artistes et des penseurs à n’en plus finir. Il n’est question que de Nietzche (dont aucun des personnages ne sait prononcer le nom) et de Pollock qui voit son suicide être romancé voire « romantisé ». Son apprenti est soumis, maladroit et ne semble qu’être un esprit à pétrir. Les deux comédiens semblent être sur deux modes de jeu différents, mais c’est soir de tempête.

Se voir mourir
Deuxième partie : ça y est, le fils a tué le père ou est en train de le faire. Ils sont maintenant face à face, au même niveau. Rothko qui s’autoproclamait fièrement comme l’un des assassins du cubisme voit maintenant sa propre mort artistique courir vers lui. Parce que oui, même si c’est un peu « facile » l’idée du maître rendu trop vieux et dépassé par les plus jeunes, il y a quand même toujours quelque chose qui arrache le cœur là-dedans. Se voir mourir, sur le bord de disparaître, la crainte de ne pas marquer ce qu’il y aurait à marquer, c’est forcément atemporel. Michel Nadeau et Steve Lee Potvin sont ici vulnérables, et au moins tout aussi forts.

Questionnements pertinents et nécessaires sur la vision consumériste des arts visuels et des oeuvres relayées au rang de « décoration ». Le décor est impressionnant par sa hauteur, les projections sont efficaces. La « chorégraphie » de peinture en duo est délicieuse et particulièrement satisfaisante.

 

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