En janvier 2020, le magazine Impact Campus fêtait sa première année. En effet, c’est en janvier 1987 que le journal débute ses activités avant de laisser place à un format mensuel en 2019. Tout un changement à concevoir pour l’équipe de rédaction, car un journal et un magazine n’offrent pas le même genre de presse. À la suite de cette refonte identitaire, j’ai eu la chance de travailler depuis plusieurs mois sur l’affirmation du nouveau format, accompagnée de mon équipe.
Par Léonie Faucher, rédactrice en chef
Les changements : de la chenille au papillon
La transformation du journal au magazine nous a permis de profiter d’une denrée rare en 2020 : le temps. En ayant davantage de temps de rédaction ‒ puisque nous n’avons pas à produire un contenu hebdomadaire, mais mensuel ‒ l’équipe peut se lancer dans des articles plus approfondis et effectuer des recherches plus amples sur les sujets. Enquêtes, reportages de témoins et autres, plus appréciables pour les lecteurs, mais aussi pour les journalistes.
Encore mieux, ce temps précieux permet à l’équipe de rédaction permanente d’offrir une formation journalistique bonifiée pour les collaborateurs qui s’intéressent au milieu de l’information. Depuis quelques temps, nous avons instauré de nouvelles méthodes pour assurer une rétroaction plus efficace et former les collaborateurs tout en assurant un contenu pertinent et professionnel. Désormais, l’équipe de rédaction reçoit les textes à l’avance pour les annoter, les corriger et échanger avec l’auteur afin qu’il comprenne les modifications nécessaires pour la publication. Il est important pour Impact Campus que tous ceux qui souhaitent écrire aient les moyens de le faire, et d’entrer plus durablement dans la chrysalide du monde journalistique.
Néanmoins, Impact Campus n’a pas tout changer pour devenir un magazine intemporel ! Nous avons conservé le volet d’actualités, mais l’avons simplement déplacé en ligne. Selon moi, le changement de formule permet à Impact Campus de s’épanouir complètement en conservant l’actualité en ligne et l’approfondissement que permet le format magazine. Le meilleur des deux mondes avec une nouvelle équipe qui butine sur la fleur du changement.
Format magazine, synonyme de modernité
Les gens sont pressés par leurs obligations quotidiennes, et le mouvement de la lecture en pâtit : on lit moins. Et même s’il est tentant de généraliser en se disant qu’homo sapiens pressés vont lire court, cela ne représente pas tout le monde. Étant une usagère régulière du réseau de transport en commun, je remarque chaque matin des lecteurs ayant en main des magazines spécialisés, des romans papier ou électroniques. Alors, pourquoi des longs ouvrages ? Parce qu’ils ont le temps de prendre le temps. Selon moi, fière lectrice de romans en autobus, lire permet de ralentir, de sortir du quotidien, en empruntant la voie de l’imaginaire ou de la réflexion.
Il y a cet aspect-là aussi, le réel me semble parfois déprimant, des attentats, un réchauffement climatique qui aura peut-être raison de nous, la fermeture de Sears. C’est important de se tenir informés avec les journaux, mais face à ces évènements devant lesquels je me sens impuissante, j’ai parfois envie de sauter dans un univers de Jacques Poulin pour reprendre mon souffle.
Le journal, bien sûr, on le gardera, car l’information y voyage, mais c’est loin d’être le premier choix de lecture des voyageurs ! Le journal est rapide à lire et traite d’une actualité que l’on ne peut pas repousser. Le magazine, lui, permet de se plonger plus longtemps au cœur d’une thématique. Assez longtemps pour s’en imprégner, la comprendre, assez longtemps pour la ride d’autobus matinale.
D’où part le combat entre journal et magazine ?
Le magazine permet de varier davantage le contenu. Des articles scientifiques aux entrevues avec des sommités, il est possible d’exploiter l’aspect graphique en ajoutant des mises en pages dynamiques, des créations visuelles et même des créations littéraires. Jadis fut un temps où le journal comblait cette diversité, mais avec une mise en page plus neutre. En effet, dès les années 1830, le nouveau modèle journalistique apporté par Girardin, créateur de La Presse, laisse aux questions culturelles une place grandissante, comme le défend Alain Vaillant, historien de la littérature française : « Pour que la poésie reste visible et reçue par cette nouvelle culture médiatique issue de la révolution libérale de 1830, il lui faut, à son tour, prendre pied dans le monde du journal et s’y faire accepter. » D’ailleurs, Girardin est le premier à introduire le roman-feuilleton dans sa presse.
La poésie et la prose sont alors intégrées au contenu journalistique de la presse, mais le milieu journalistique influence les modes de création littéraire. Selon l’historien, « on sait que l’esthétique de ces textes brefs, faits de courts paragraphes descriptifs ou narratifs, mais toujours visant à condenser une impression où l’imagination se conjugue à la volonté de saisie réaliste du monde, est directement liée à l’écriture journalistique du XIXe siècle. »
En prenant en considération cette position d’Alain Vaillant, je maintiens que notre magazine s’inscrit dans la tendance historique de mélanger les différents types de textes pour façonner un médium qui diffuse différentes sphères sociétales : la société, la politique, le sport, les arts, etc. Cependant, l’articulation autour d’une thématique comme les revues spécialisées nous oriente vers la tendance moderne qui commence au début du XXe siècle lorsque « la presse quotidienne ‒ même celle des petits journaux ‒ est moins accueillante : c’est désormais dans les revues que les poèmes de Baudelaire, par exemple, trouveront souvent asile, et ce repli de la poésie qui s’amorce alors vers des périodiques plus spécialisés annonce déjà la pratique parnassienne. » (Alain Vaillant)
Bien sûr cette division laisse à la presse quotidienne l’actualité et aux revues spécialisées les autres sujets créant une distanciation qui perdure aujourd’hui. Les deux médias sont selon moi nécessaires pour éviter la désinformation. Cependant, je crois qu’il est davantage pertinent et plus efficace de rejoindre le lectorat sur un mode de diffusion qui comble leurs envies. Et le quotidien n’est peut-être plus dans leurs envies : le Centre d’études des Médias (CEM) de l’Université Laval a réalisé une étude sur le lectorat des journaux en 2018. Bien que dans la ville de Québec, 81 % de la population dit lire les quotidiens en 2018, le pourcentage est en baisse de 2 % par rapport à 2017. Le CEM a retracé l’intérêt de 2001 à 2013 des lecteurs de quotidiens et constate une importante baisse de popularité.
« À l’échelle du Canada, le taux de lectorat des quotidiens chez l’ensemble de la population adulte est passé de 57 % en 2001 à 48 % en 2013. La baisse de popularité a touché tous les groupes d’âge, mais elle est plus marquée chez les plus jeunes : ils n’étaient plus que 34 % chez les 18-24 ans à lire régulièrement un quotidien ou à consulter ses déclinaisons numériques en 2013, alors qu’ils étaient 51 % en 2001. » ‒ Centre d’études sur les médias
Nouvelle vs nouvelle : ennemis dans le même média
Pourquoi est-ce que certains journaux se sont fermés à la publication de créations littéraires, forçant les auteurs à se diriger vers des revues spécialisées ? Premièrement, il y avait sûrement confusion entre réalité et imaginaire, les deux définitions apparentes du terme « nouvelle » en sont un indice. La nouvelle journalistique présente un évènement souvent récent et sert à faire connaître celui-ci, tandis que la nouvelle littéraire est un texte de fiction regroupant un style minimaliste aux personnages épurés. C’est ce rapprochement entre les deux termes qui dérange, car la frontière tangente peut induire en erreur le lectorat moyen. Florence Goyet, auteure de La Nouvelle, explique la liaison entre la nouvelle littéraire et le fait divers : « Comme la nouvelle, le fait divers présente des éléments narratifs portés à leur paroxysme : dans le fait divers, il s’agit toujours d’évènements qui transgressent la nature ou l’ordre normal du monde. Comme la nouvelle, il présente presque infailliblement une tension antithétique, sous la forme particulièrement claire du paradoxe. »
La séparation de la création littéraire et des nouvelles journalistiques devait se faire dès lors que le lecteur était soumis à différents contrats de lecture. Dans le cas de la création, le lecteur s’investit dans un imaginaire dans lequel il éprouve un plaisir fictionnel. Dans le second cas, la nouvelle journalistique indique un contrat réaliste, le lecteur s’instruit d’évènements qui sont arrivés. Il paraît donc, selon moi, naturel de vouloir séparer les contrats de lecture pour éviter les confusions.
Aujourd’hui, les nouvelles littéraires peuvent être diffusées dans des revues spécialisées et les nouvelles journalistiques dans des journaux. Néanmoins, la réunification des deux types de nouvelles est une tradition que notre magazine a osé reprendre. Je crois que le problème majeur de la combinaison des deux était la mise en page. À l’époque, la création était proche physiquement des autres nouvelles, pouvant alors créer une confusion du contrat de lecture des lecteurs de journaux. D’ailleurs, les nouvellistes de l’époque s’amusaient avec cette frontière déjà floue en introduisant de fausses identifications. Par exemple, en identifiant la création comme un reportage pour ajouter un effet de réalisme, mais cet effet brouillait aussi les cartes entre réalité et imaginaire.
La cohabitation est, selon moi, une bonne initiative pour couvrir les différents types de rédaction — création, recherche, entrevue. Cela crée un éventail plaisant à la majorité et permet des découvertes aux curieux.
Crise du média étudiant
Pour être honnête, nous vivons une crise médiatique. Certes, les journaux attirent moins de lecteurs en bas de 30 ans, mais les plateformes numériques attirent beaucoup. Pour produire un magazine gratuit chaque mois, Impact Campus se doit d’avoir une couverture publicitaire solide pour se financer. Or, la tendance des dernières années tend à une réduction des demandes d’espaces publicitaires. Heureusement, en tant que média étudiant, certaines instances universitaires publicisent chaque magazine, permettant à celui-ci de financer sa couverture papier et web.
Dernièrement, l’administration a produit un dépliant explicatif, distribué aux organisations et aux compagnies de la ville de Québec, afin de motiver des engagements publicitaires.
C’est une guerre entre papier et numérique qui fait rage dans la crise littéraire. Le numérique attire davantage la génération en place pour le lectorat, et les publicitaires suivent le mouvement. Par contre, les journalistes qui collaborent avec nous préfèrent le format papier, forme de consécration dans le milieu de l’écriture.