Ayant célébré ses 200 ans, le roman Frankenstein de Mary Shelley a influencé l’imaginaire depuis sa sortie en janvier 1818. Étonnamment, l’histoire s’inscrit toujours dans l’actualité avec comme thèmes centraux le jugement et l’acceptation des différences. Le monstre, créé par le scientifique, désirait simplement être aimé, mais la haine reçue des hommes a empli son cœur de vengeance et de meurtres.
Par Léonie Faucher, rédactrice en chef
Mary Shelley expose dans son roman le génie scientifique de Frankenstein qui, dans sa folie de connaissance, octroie la vie à un Prométhée qu’il a lui- même fabriqué. La nuit de l’éveil du démon, Frankenstein est dégoûté par sa création et fuit. La bête commence son existence dans l’horreur de son père créateur qui l’abandonne. Elle découvrira bien vite que tous les hommes la juge pour son apparence et non sa bonté intérieure. Par exemple, lorsqu’elle sauve une petite fille de la noyade, elle se fait poignarder par le père qui s’enfuit avec son enfant pour répandre la rumeur de la présence d’un monstre autour du village.
Jouer à être dieu : les dangers
Tout d’abord, le scientifique Frankenstein avait dans sa course vers le savoir infini l’objectif de créer la vie et ainsi usurper le rôle du divin. À l’origine du texte biblique, la quête du savoir est considérée comme un péché pour lequel il y a un prix à payer pour celui qui veut enfreindre les limites humaines autorisées. L’exemple le plus connu est celui du fruit défendu de l’arbre des connaissances, croqué par Ève, puis par Adam, qui valut à ce dernier l’expulsion du jardin d’Éden. Dans le roman, la créature de Frankenstein s’identifie tantôt à Adam, rejeté par la société, tantôt à Satan le maudit. Plus la bête acquiert des connaissances, plus elle est désireuse de se venger de son créateur à qui elle a inspiré un dégoût violent, car elle comprend son aspect inhumain. D’ailleurs, la quête du savoir illimité, mais également l’envie de repousser ses limites sans cesse, sont associés à la moralité autour de l’ambition qui parfois se rend à la démesure. Cependant, la prise de risque contribue à l’avancement de l’humain et l’ambition est nécessaire pour sortir de sa zone de confort vers différents progrès.
Besoins fondamentaux de l’homme
La critique sociale du roman se place autour de l’acceptation des êtres différents, voire inconnus. Effectivement, le monstre ne sera jamais jugé pour ce qu’il est à l’intérieur, mais pour sa façade extérieure : difforme et laide. Malheureusement pour lui, les habitants s’arrêtent à son apparence repoussante au lieu de remarquer sa bonté et ses bonnes intentions envers autrui. Par exemple, la créature veille sur une chaumière où il s’instruit en observant dans l’anonymat ses habitants. Celle-ci contribue la nuit aux tâches régulières (couper et corder le bois, entretenir le jardin, etc.) Ses voisins le qualifient de bon esprit et de merveilleux avant de l’apercevoir, car lorsque la créature se présente, c’est à coups de bâton qu’ils l’éloignent prenant peur de son apparence.
En analysant les désirs de la créature, les pulsions humaines les plus primaires semblent prendre la place au centre du récit. En effet, c’est le manque d’amour qui mène la créature à autant de haine envers les hommes et qui alimente son désir de vengeance. Il est marquant de constater que le désir sexuel n’est pas abordé, car la créature souhaite recevoir de l’affection en ayant des interactions humaines.
Vengeance contre l’homme
Le récit critique aussi l’aspect d’exclusion des minorités dans la société. Effectivement, la créature n’obtient en aucun moment le droit de s’exprimer en présence de l’homme qui la juge sans préavis. Sa différence la classe immédiatement comme étant un danger. Par exemple, lorsque la créature sauve une petite fille de la noyade, elle reçoit comme récompense d’être poignardée par le père qui l’identifie comme un démon. Si aucun habitant n’ouvre sa porte à la créature, sa bonté se transforme bientôt en haine. La créature ne peut plus souffrir la présence des hommes qui désapprouvent à l’unisson son essence même. C’est pour cette raison qu’elle se met à tuer alors que son intention première était de se faire accepter.
Il y a un parallèle intéressant à faire avec la situation contemporaine des conflits entre les différents groupes sociaux. Le sujet central de l’oeuvre de Shelley n’est pas éloigné de la société contemporaine. Il suffit de parler d’islamophobie, d’homophobie, de xénophobie, l’être humain a conservé ses peurs des différences. Néanmoins, propager un discours haineux envers un groupe peut le mener, comme pour la créature, à des actes négatifs pour se venger des ragots.
Roman épistolaire : radotage de la société
La structure du roman repose sur un échange de lettres entre des personnes externes à l’histoire. C’est le capitaine du bateau sur lequel atterrit Frankenstein qui écrit à sa sœur la terrifiante histoire de son passager. Dans le désir d’apporter son point de vue sur la situation, le capitaine partage ses critiques à l’égard du scientifique Frankenstein à l’aide de ses lettres. Le commérage permet un maintien de l’ordre social, surtout dans les groupes qui veulent conserver leur cohésion.
En effet, avoir un regard critique sur la société permet de consolider un groupe qui a des pensées similaires. Ainsi, les fans de tel groupe de musique auront tendance à avoir des conversations autour de ce point commun qui les unit. Dans le roman de Shelley, le mouvement de foule vers une vision de la situation est bien représenté. Si un habitant hurle en voyant la bête, ça lance l’appel à la communauté qui entoure socialement la personne à avoir également peur puisqu’ils partagent une cohésion de groupe.
Réutilisation moderne du conte
Le monstre de Frankenstein n’est pas aujourd’hui seulement réutilisé comme décoration d’Halloween. Il est le héros de plusieurs adaptations contemporaines comme des bandes- dessinées, de nombreux films, des pièces de théâtre et même des chansons. D’ailleurs, Alice Cooper, dans sa chanson Feed my Frankenstein, se compare à la créature et il sous-entend de nourrir son monstre intérieur puisqu’il est « Hungry for love » ; tout comme le prométhée voulait être aimé. La figure du monstre presque universelle représente encore aujourd’hui les troubles qui hantent l’homme.
Transhumanisme
Mais la question qui reste en suspens à la fermeture du roman est : qu’est-ce qui définit un être humain ?
La figure du monstre dans le contexte contemporain, c’est le transhumain. Ce n’est pas un monstre, mais un anti-héro surhumain qui remet en question l’habilité de maîtriser la vie ou non qui implique une certaine transgression de l’humanité. Pourquoi le transhumanisme ? Parce que la transformation de l’être humain est actuelle. En effet, au niveau des avancées technologiques, les pièces de rechange pour être humain ou les implants de puces font parties des débats sociétaux.
Bon, la créature de Frankenstein n’est pas réaliste, surtout par sa naissance plutôt répugnante. Elle soulève la question de la limite des modifications qu’un être humain peut subir pour qu’il reste humain. La créature peut-elle être considérée humaine puisqu’elle est composée de plusieurs morceaux d’hommes ? L’idée qu’elle n’ait pas de nom attribué par son « père », qu’elle ne soit nommée que par des termes péjoratifs (la bête, la créature, l’hideux) comme on pourrait appeler son animal « le chat », lui enlève son humanité. Je crois que ces procédés reviennent critiquer la transgression de l’humanité de Frankenstein et les volontés modernes d’amélioration de l’homme au péril qu’il devienne une créature à son tour.