Le 23 octobre dernier, Bryan Perro lançait son roman autobiographique qui retrace son enfance atypique avec les éditions ADA. Coureur de marathon forcé, Eul’ Blond
raconte l’excessivité d’un père contrôlant prêt à la gloire pour son fils. Tiraillé entre la nature fragile de l’enfance et le dogmatisme du père, le récit initiatique apporte une grande réflexion sur l’innocence. Comme un livre ouvert, Bryan Perro est prêt à tourner la page sur son passé et à dévoiler cette facette de lui à ses lecteurs.
Par Léonie Faucher, rédactrice en chef
Lorsque j’ai décroché l’entrevue avec Bryan Perro dans le cadre de la sortie de son nouveau roman autobiographique Eul’blond, j’ai sauté de joie comme une fillette qui reçoit une licorne à Noël. En plein dans la thématique de la nostalgie, mon auteur jeunesse m’offre une entrevue ! C’est probablement banal pour lui puisqu’il doit en avoir fait au moins une dizaine pour la sortie de son roman, mais cette entrevue est un vrai cadeau pour moi. Ça me rappelle un souvenir d’enfance :
J’ai huit ans. Je suis assise dans la première rangée de la Salle des Lions à Laurier-Station. L’attente est longue. Sur mes cuisses, le premier tome d’Amos Daragon apaise mon énervement. Je le tiens fort pour être certaine de ne pas le perdre. J’ai envie que tout soit parfait. J’attends ce moment depuis que l’enseignante a annoncé la conférence de l’auteur Bryan Perro. 8 h 30 sur ma montre : ça y est, j’allais rencontrer mon auteur préféré !
C’est fou que quatorze ans plus tard, je sois toujours aussi fébrile à l’idée de converser avec lui. Ses univers ont fait fleurir mon enfance, mais aussi mes rêves d’adulte. Parce qu’après la conférence, durant la séance d’autographe, je lui ai tendu mon livre et je lui ai dit : « Plus tard, j’aimerais être écrivaine comme vous ! »
Roman autobiographique : Eul’blond
En résumé : Le roman adopte une forme inspirée d’un marathon. Il se divise en quarante-deux chapitres représentant les quarante-deux kilomètres du marathon auquel le père entraineur accompagne sa progéniture. Le grand gnou surnomme son fils Eul’blond, même si sa chevelure est plutôt brune, pour le recadrer. Alors que la grande migration des gnous de 1980 se prépare à Montréal, Eul’blond se prépare à son rituel de passage propre à sa race à ses douze ans. Il s’agit du parcours autobiographique, métaphorique aussi, d’une une enfance atypique au sein d’un troupeau de gnous de Shawinigan.
Léonie Faucher – Impact Campus (IC) : Tout d’abord, qu’est-ce qui vous a donné envie d’écrire un roman autobiographique ?
Bryan Perro : La démarche commence il y a vingt ans. Avant que j’écrive la série Amos Daragon, j’ai écrit un petit roman qui s’appelait Pourquoi j’ai tué mon père. C’était une plaquette qui reprenait un peu le même genre, mais qui était vraiment écrite pour avoir une amorce de conversation avec mon père sur mon enfance atypique. Pour qu’on puisse s’en parler ouvertement et qu’il me dise « ah, ça je ne l’ai pas vu de même », « ah mon dieu, ce n’est pas ça que je voulais ». Cette conversation n’a jamais eu lieu après. Tout ce qu’il a fait c’est de se glorifier de ce texte-là. Je n’ai jamais eu de démarche authentique là-dessus avec lui. Notre relation s’est dégradée jusqu’à sa mort en novembre 2019. Cette dévolution a amené un silence de dix ans, je ne lui ai pas parlé dix ans avant sa mort. Quand il est décédé, j’ai relu ce roman-là. Je l’ai regardé, je me suis dit que c’était mal foutu. J’ai commencé par le réécrire pour faire le point sur ma jeunesse atypique. Ça découle d’un besoin pour moi de clore les livres sur cette histoire-là. Donc, le roman a pris ses racines il y a de ça vingt ans.
IC : Est-ce que vous regrettez de ne pas avoir eu cette conversation-là avec votre père, de son vivant ?
BP : Bien oui, je l’avais fait pour ça, le premier roman. Quand on fait quelque chose pour aller vers l’autre et qu’on n’a pas ce qu’on attend, bien sûr on le regrette, on trouve ça dommage. En même temps, je l’accepte, parce que ce sont des zones où lui ne voulait pas rentrer. Je ne peux pas forcer quelqu’un à vouloir marcher dans ces territoires-là s’il ne le désire pas.
IC : Sachant que vous vous adressez généralement aux adolescents, aviez-vous un public cible en tête ?
BP : Je ne sais pas à qui il s’adresse. Il s’adresse à n’importe qui ayant eu des parents. Donc, un peu à tout le monde qui peut voir comment l’influence des parents peut être difficile pour l’enfant qui se voit imposer ces doctrines-là. Mais aussi, comment l’enfant peut se sortir, c’est ce que j’ai fait, de ce que les parents désirent pour lui. Il est pour les enfants et pour les parents. En même temps, ce n’est pas un roman ciblé jeunesse ou adulte. Je crois qu’à douze ans, il y a des subtilités qu’on ne peut pas comprendre. Du moment où le lecteur est en âge de comprendre les subtilités, je crois que c’est bon.
IC : Pourquoi avoir choisi l’animal du gnou comme animal métaphorique du roman ?
BP : Pour moi, c’est un animal qui répond bien à la métaphore de ce que représente mon père. C’est-à-dire l’homme entêté qui va toujours faire la même chose, qui a ses principes, qui n’en démord pas, qui est un être de rituel, qui a sa façon à lui de voir le monde et qui ne peut pas dévier de sa route. Parce que le gnou ne dévie jamais de sa route et le troupeau suit. Ils savent très bien qu’ils vont passer la rivière Massaï, qu’il va y avoir des crocodiles géants et que certains d’entre eux vont mourir. Au lieu d’essayer de trouver une autre place pour passer, ils passent là tout le temps. Pourquoi ? Parce que c’est là qu’il faut que ça passe. Là, tu essaies de savoir pourquoi ils pourraient changer. Non ! Ces des animaux qui ont un rituel, une façon de faire et rien ne peut faire changer ce rituel-là. La preuve, le premier roman que j’ai écrit ! Mon père ne voulait pas rentrer dans cette conversation-là, il ne voulait pas se remettre en doute, ne voulait pas réfléchir sur ses actes. Pourquoi, parce que c’est ça qu’il avait à faire, il n’a pas besoin de réfléchir à ça. Alors, le gnou est un être qui avance et qui est motivé par l’instinct de sa race, un peu comme mon père.
IC : Tout au long du roman, j’ai senti un sentiment d’urgence du personnage à atteindre la fin, à s’exprimer, surtout avec les décomptes et la forme du marathon, y avait-il une intention derrière ce sentiment d’urgence ?
BP : Moi j’ai fait le marathon de Montréal à douze ans et pour vrai, je peux te dire que tu as hâte que ça finisse (rire). Je me rappelle encore très bien des cinq derniers kilomètres, tu comptes, tu as vraiment hâte, tu as vraiment, mais vraiment hâte que ça finisse. Tu as vraiment hâte d’être libéré de la chose. Alors ce sentiment-là des cinq derniers kilomètres qui mène vers ta libération, oui, c’est le sentiment d’urgence que ça finisse, que la douleur s’arrête et qu’on passe à d’autres choses. Je pense que n’importe qui ayant fait le marathon, les cinq derniers kilomètres… C’est comme un calvaire que tu as hâte d’arrêter, c’est comme la pandémie, on a hâte que ça finisse.
IC : Est-ce que cette volonté que ça finisse, ça a un écho avec le dossier de votre père ?
BP. : Peut-être que ça a un lien avec ça, parce que tu vois, ce roman-là est sorti en fin octobre et mon père est décédé le deux novembre. C’est un cycle d’un an qui se complète avec la sortie du roman et sa première année de décès. Je peux dire que dans ma vie à moi, ce cycle-là est définitivement terminé, l’histoire avec mon père est terminée, comme le marathon.
IC : Je tiens à vous offrir mes condoléances.
BP : Ah, je ne l’aimais pas (rire). Si je l’avais aimé, ça m’aurait touché, mais là ça va. On me demande souvent « ben la vous aimez pas votre père, avez-vous aimé votre père ? ». Je ne pense pas avoir aimé mon père. Là, on me demande : « Dans ce cas-là vous le détestiez ? » Je ne pense pas non plus que je le détestais. C’est plus compliqué que ça. Je ne peux pas dire que je l’aimais ni que je le détestais, c’est une zone grise entre les deux. Un mouvement où tu te sens obligé parce que c’est ton père. C’est très équivoque comme sentiment. C’est dur à expliquer.
IC : Votre style d’écriture fantastique est plus discret dans ce roman, est-ce que d’avoir utilisé le style métaphorique vous a aidé à mettre des mots sur votre histoire ?
BP : Il n’y a pas vraiment de fantastique dans le roman, sinon l’hallucination. Ce n’est pas un roman fantastique, c’est un roman métaphorique. Il y a beaucoup de métaphores et de comparaisons. L’idée du roman métaphorique qui parle par symbole est plus facile pour moi puisque ça fait partie de mon ADN d’écrivain.
IC : Anticipez-vous la réaction de vos lecteurs ? En fait, qu’éprouvez-vous lors de la sortie d’un nouveau roman ?
BP : Avant la sortie d’un nouveau roman, je suis toujours fébrile. Cependant, celui-là, je ne sais pas. J’ai l’impression que j’ai fait ce que j’avais à faire et que c’est fini. Alors, j’espère que ça va marcher et que les gens vont l’aimer, parce que je pense que c’est une bonne histoire somme toute. Ce n’est pas le même sentiment d’écrire sur soi que d’écrire du fantastique. Ce n’est pas le même public non plus. Encore une fois, les sentiments sont un peu mélangés. Je suis content d’avoir fini l’exercice mais en même temps, j’ai besoin de savoir que c’était une nécessité. Quelque part c’est déjà réglé. C’est déjà un succès dans un sens, pour moi en tout cas. Maintenant, il faut que ce soit un succès de librairie. J’aurais plus de facilité à comprendre l’engouement si je pouvais voir les lecteurs dans les salons du livre, mais avec la pandémie je ne peux pas. Alors c’est un peu abstrait.
IC : Prévoyez-vous une suite à Eul’blond qui se baserait sur d’autres moments de votre enfance ou adolescence ?
BP : Je ne pense pas que c’est un roman à suite. Je pense que ça a été dit, ça a été fait. Maintenant qu’est-ce qui m’arrive pour la suite, je ne le sais pas. Personnellement, j’avais perdu l’envie d’écrire depuis environ cinq ans. J’écrivais du théâtre, du spectacle et tout ça, mais écrire du roman ça ne m’intéressait plus. Eul’blond m’a relancé dans une certaine envie d’écrire, mais je ne sais pas trop vers où. Je suis encore ambivalent.
Donc, la réponse à toutes tes questions est « il est ambivalent ».
IC : Pour certains écrivains c’est la page blanche, alors que pour d’autres c’est le scénario parfait. Est-ce que le confinement a un effet sur votre envie d’écrire ?
BP : Je te dirais de revenir au calme, parce que la pandémie force un retour sur soi. Le retour sur moi fait renaître certaines envies.
IC : Avez-vous ressenti de la nostalgie en vous replongeant dans vos souvenirs pour écrire ce roman ?
BP : Oui, malgré que le marathon et tout ça c’est parfois douloureux. J’ai parfois des belles images qui me sont revenues. Pour être honnête et authentique avec toi, quand on écrit quelque chose comme ça qui touche à nos sentiments, c’est sûr que c’est plus embarrassant. Parce que tu te dis « est-ce que je dis ça ? », « comment je le dis ? », « est-ce que ça va être bien perçu ? », « est-ce que ce sont les bons mots ? ». Parfois, ça implique d’autres personnes aussi, alors ça amène une réflexion autour de la chose. J’ai une demi-sœur, on a 16 ans de différence. C’est son père à elle aussi et nous n’avons pas la même vision. Elle l’a connue à une autre époque même si c’était le même homme. On marche toujours sur des œufs.
IC : Quel(s) conseil(s) donneriez-vous à vos lecteurs qui rêvent de devenir écrivain ?
BP : Quand on aborde un récit, d’être le plus authentique possible et que ça colle à soi. Là tu vas me dire, « ben là Bryan, Amos Daragon c’est du fantastique, ça ne colle pas à toi ». C’est faux, parce que ça colle directement à moi, car une de mes passions dans la vie c’est la mythologie : les contes, leslégendes, les créatures fantastiques, les grands héros. J’ai écrit Amos Daragon avec cette passion-là et c’est pour ça que ça a marché. Donc, j’ai été là-dedans, authentique envers ma passion, envers ce que je suis et ce que j’aime. Dans Eul’blond, je suis authentique, mais cette fois-ci, je le suis envers moimême et envers mes sentiments. Donc, ça serait d’essayer d’aller chercher notre authenticité dans ce qu’on écrit.
IC : La série d’Amos Daragon va avoir sa représentation télévisuelle, ça vous fait quoi de voir ce projet qui vous a demandé des années d’écriture prendre vie ?
BP : Tellement d’années ! C’est un grand plaisir et un grand soulagement. Surtout qu’il y a beaucoup d’intérêts de la communauté internationale pour reprendre le projet et qu’il soit traduit dans d’autres pays. Je suis libéré d’un travail avec le producteur qui a duré des années et des années. D’arriver à ce résultat-là, c’est vraiment un autre marathon qui se termine.
Je vous souhaite donc la fin des marathons dans votre vie, cher Bryan Perro.