Émancipation sexuelle 2.0 et la réalité trans chez les enfants

Si les années 60 représentent l’émancipion sexuelle de la rigueur moralisatrice de l’Église catholique, les années 2010-2020 ont été celles d’une deuxième vague émancipatrice. Une vague libératrice non pas des pratiques sexuelles cette fois, mais bien des identités sexuelles. Nos sociétés occidentales ont légalisé le mariage pour tous, les notions d’identité de genre biologique et social ont été mises de l’avant, même l’armée s’est ouverte à la réalité trans. Justement, dans la thématique du mois qui porte sur la sexualité, ce sujet nous fait écho. Non pas les trans dans l’armée exclusivement, mais plus largement cette fameuse réalité trans dans son entièreté. Avec elle, plusieurs se sont libérés du carcan que peut représenter un corps auquel on ne s’identifie pas. Cependant, nous assistons depuis quelques années à une autre réalité. Celle des enfants qui revendiquent une transition. Est-il acceptable d’amorcer ce changement pendant la puberté ? Cette période où chacun se questionne sur sa personnalité, son orientation et ses préférences. Nous parlons tout de même de changements qui peuvent s’avérer lourds de conséquences. Madame Vicky Rochon Msc infirmière, est clinicienne et travaille pour le McGill University Sexual Identity Centre (MUSIC), une clinique qui fait office de référence en la matière. Madame Rochon a bien voulu consentir à nous accorder quelques minutes de son temps pour répondre à nos questions, afin de nous éclairer sur le processus qui accompagne ces jeunes adolescent.es.

Par Jimmy Lajoie-Boucher, journaliste collaborateur

Impact Campus : Bonjour Madame Rochon, alors sans plus attendre, entrons dans le vif du sujet. Quel est l’âge légal pour commencer une thérapie de transition ?

Vicky Rochon : N’importe quel âge pour une thérapie. Par contre, pour les traitements médicaux, vers 12 ans. Les bloqueurs hormonaux, par exemple, c’est dans ces âges-là. Par la suite, suivront les hormones. En-deçà de 12 ans, il est surtout question de thérapie de soutien pour les parents et l’enfant. Il est important de préciser que l’âge de consentement médical est de 14 ans. À partir de cet âge, l’enfant peut faire les démarches de son propre gré. En bas de 14 ans, les parents sont consultés. Seulement, il n’y a pas d’âge légal à proprement parler.

I.C. : Est-ce qu’un parent, à partir de ses observations, peut demander une consultation pour son enfant ?

V.R. : Oui, la demande peut venir des parents, s’ils veulent une thérapie de soutien. Cependant, les parents ne peuvent pas exiger une transition médicale pour leur enfant sans que ce dernier ne le désire.

I.C. : Une fois l’enfant en consultation, quelles sont les procédures ?

V.R. : Les psychiatres déterminent s’il y a dysphorie de genre, et ensuite un traitement est envisagé. Pour les traitements concernant la transition physique, on donne une référence pour une consultation en endocrinologie. Notre rôle ici est de cibler leurs besoins, à savoir, si les jeunes sont en questionnement ou s’ils sont prêts à commencer une transition. Tous les jeunes ne passent pas par nous. Certains vont directement être dirigés vers un endocrinologue par leur médecin de famille. Normalement, l’enfant et la famille commencent les démarches auprès de leur médecin de famille et ensuite, nous, on donne la référence. La thérapie médicale passe par les endocrinologues. Par contre, nous pouvons les aider avec leur transition sociale, comme à l’école par exemple. Généralement, on commence par le changement de nom, ensuite, pour les transitions de garçon à fille, on peut laisser pousser les cheveux ou à l’inverse, de fille à garçon, les couper. Seulement, il faut préciser qu’ils et elles ne sont pas tous et toutes référé.es à notre centre. Certains médecins de famille vont les diriger directement en endocrinologie, et certains sont même confortables avec l’idée de prescrire des bloqueurs d’hormones eux-mêmes.

I.C. : Dans l’optique où la dysphorie de genre est diagnostiquée, comment s’effectue la suite du traitement ? Est-ce que l’hormonothérapie est débutée immédiatement ?

V.R. : On offre d’abord du soutien à l’enfant et la famille, parce que ce n’est pas toujours facile ni pour l’enfant, ni pour les parents. Pour certains, c’est un deuil à faire. Il y a des parents qui doivent faire le deuil de perdre leur fille ou leur garçon. Ce n’est pas simple vous savez ! Ensuite, nous ciblons les besoins de l’enfant. Si les besoins sont plus dans la thérapie individuelle, nous allons aller dans ce sens, sinon, on va les diriger vers une thérapie de groupe. On offre aussi le lien entre la psychiatrie et l’endocrinologie, mais parfois ce lien n’est pas nécessaire. Cependant, quoi qu’il en soit, nous maintenons un contact avec l’enfant. On ne l’envoie pas voir l’endocrinologue et merci bonsoir, un lien est conservé. Seulement, comme je vous l’ai dit, certains passent directement du médecin de famille à l’endocrinologue. Cependant, plusieurs médecins de famille vont référer l’enfant à un psychiatre avant d’aller vers un endocrinologue.

I.C. : Lorsqu’on ne diagnostique pas de dysphorie de genre chez le jeune, il y a tout de même un suivi en psychiatrie ?

V.R. : Oui, il arrive qu’il n’y ait pas de dysphorie de genre. Dans ce type de situation, une évaluation plus spécifique est faite et si le psychiatre n’est pas convaincu, un suivi plus poussé est à envisager. Ces cas précis sont plus complexes. Ce n’est pas clair comme une prise de sang vous savez, les résultats sont beaucoup plus opaques, parfois il faut investiguer davantage, il faut creuser un peu plus. Il y a cependant des critères, des balises, auxquels se fier.

I.C. : Des patients souhaitent-ils interrompre leur transition pour revenir à leur genre initial ?

V.R. : C’est assez rare, car lorsque les patients nous sont référés, ils se questionnent depuis déjà longtemps. C’est d’ailleurs pour cette raison que je vous parlais de transition sociale précédemment. Nous essayons de laisser pousser les cheveux ou les couper pour le procédé inverse, nous effectuons le changement de nom et ensuite, si tout va bien, nous poursuivons avec les bloqueurs d’hormones. Ce sont toutes des étapes où l’on peut observer si la dysphorie de genre s’accentue ou semble se dissiper pour démontrer un autre type d’affirmation de soi. C’est une des premières inquiétudes qu’on observe chez les parents. C’est pour l’ensemble de ces raisons que nous parlons d’un long processus. L’approche est de laisser les enfants explorer leur identité de genre et d’avoir le soutien de la famille. Nous pouvons constater un certain succès, car les études montrent une diminution des dépressions chez ces jeunes. Cependant, le soutien de la famille est très important. En somme, c’est très rare qu’un patient souhaite retrouver son genre initial.

I.C. : Connaissez-vous le pourcentage ?

V.R. : Il n’a pas vraiment d’étude sur la question et c’est matière à débat. Chaque psychiatre a eu un.e patient.e qui souhaitait « détransitionner », mais c’est assez rare. Moins de cinq pour cent, on parle de l’ordre de 1 pour cent environ.

I.C. : L’opération est-elle autorisée chez les adolescent.es ?

V.R. : Très rare, j’ai déjà entendu parler d’un patient opéré à 17 ans, mais c’est très rare. C’est vraiment une fois adulte, mais lorsque ça arrive, il faut des lettres de spécialistes sur la question. Il faut au moins une année complète de prise d’hormones et il y a des listes d’attente, alors le patient a vraiment le temps d’y penser, en plus. Le patient le plus jeune dont j’ai eu connaissance, avait 17 ans et ce sont des cas très rares et très spécifiques. Par exemple, une fille ayant une poitrine volumineuse qui la gêne. On peut, dans cet exemple précis, parler d’une possible mastectomie. Par contre, pour une opération de réattribution sexuelle, on parle vraiment de quelque chose à envisager à l’âge adulte.

I.C. : Sans l’opération, l’hormonothérapie peut-elle induire des changements physiques irréversibles ou d’autres effets secondaires ?

V.R. : Oui, il y a des effets irréversibles. C’est différent si la transition s’effectue de garçon à fille ou de fille à garçon, mais il y en a c’est sûr. Par exemple, si un garçon arrête les bloqueurs d’hormones, la voix peut ne pas muer ou, dans un cas comme dans l’autre, la fertilité peut être affectée. Seulement, les patients sont avisés de ces effets. C’est aussi le travail de l’endocrinologue d’expliquer ces effets secondaires aux patients, de donner l’information nécessaire sur les effets de la prise d’hormones ou des bloqueurs. Rendu à cette étape, c’est eux qui prescrivent généralement. Nous, on va leur donner une référence pour une consultation en endocrinologie.

I.C. : Combien de temps les jeunes peuvent-ils être suivis pour une dysphorie de genre ?

V.R. : Ça dépend du jeune, on ne les laisse pas tomber. On décide ensemble, c’est au besoin. Des fois la thérapie de groupe leur suffit, d’autres fois ils ont besoin d’un suivi plus individuel. Seulement, ce n’est pas un service à « très long » terme, généralement.

I.C. : Pour terminer, est-ce qu’il y a une bonne acceptation dans notre société du sujet de la transition de genre chez les adolescent.es ?

V.R. : On n’a pas de grande difficulté, du moins en ce qui concerne les écoles. Par exemple, l’enfant peut utiliser le nom qui lui convient sans problème. Les écoles acceptent bien les jeunes en transition. On a une bonne collaboration avec les différent.es intervenant.es.

Au Québec, la RAMQ couvre les transitions et opérations de réattributions sexuelles. Il n’y a pas d’âge légal minimum. À partir de 14 ans, l’âge de consentement médical, un jeune garçon ou une jeune fille peut se présenter devant le directeur de l’état civil et changer son nom dans le but d’un éventuel changement de genre. Avant 14 ans, il faut l’accord du tuteur légal ou des parents. Les études sur le pourcentage des jeunes trans n’existent pas. Aucune donnée sur les opérations ou leur succès, par manque de preuves concluantes à ce sujet, n’est disponible. Néanmoins, il semblerait que les chirurgies de réattribution de genre dans leur ensemble, soit une réussite.

Photo par Kunj Parekh

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