Ouija, les fantômes face à la science

Par Ludovic Dufour, chef de pupitre sociétés et Jade Talbot, cheffe de pupitre actualités

Au bord d’un chalet perdu dans le bois du fin fond de la Beauce, vous et vos ami.e.s profitez du soleil couchant au bord d’un lac. Avec la nuit qui s’installe, les adeptes de films d’horreur commencent à comparer leur slasher favori avec votre situation actuelle ; des jeunes adultes éloigné.e.s de toute forme de civilisation alors que la nuit tombe, c’est effectivement une bonne introduction, quoique cliché.  Puis suivent les histoires de fantômes, une sorte de concours de qui a la meilleure anecdote paranormale. Les témoignages s’enchaînent devant votre scepticisme. Il faut dire que les histoires de fantômes, ça n’a jamais été votre truc, vous êtes trop terre à terre, trop rationnel.le pour donner crédit à ça. Puis, une de vos amies, celle qui vous a prédit une mort précoce en lisant les lignes de votre paume de main et qui répète souvent que les gens qui sont scorpions sont désagréables, propose d’essayer un ouija.

Votre long soupir de découragement est enterré par les réactions excitées de vos ami.e.s. On éteint les lumières, on allume quelques bougies puis on installe le jeu sur la table du salon. Installé.e.s en cercle, vous écoutez les instructions de votre amie. Toucher légèrement le pointeur du bout des doigts, ne pas enlever les doigts, parler clairement, une question à la fois, vous ne pouvez-vous empêcher de rouler les yeux quand elle vous met en garde contre les démons qui peuvent sortir si on ne suit pas les règles. Finalement, le jeu commence, « esprit, es-tu là? » demande la maîtresse de cérémonie officieuse. Les secondes passent, pas de réponse. « Y a-t-il un esprit, parmi nous? », toujours rien. « Esprit, souhaites-tu nous parler? » insiste-t-elle, mais cette fois, la planchette bouge, lentement, elle glisse vers le coin gauche indiquant « oui ». La tension monte d’un cran, mais vous restez calme, vous vous dites que ce sont vos ami.e.s qui déplacent le pointeur, même sans le vouloir. Les questions commencent à s’enchaîner, « comment t’appelles-tu? », « esprit, quel âge as-tu? », les réponses sont de plus en plus rapides et la planche semble bouger avec plus d’aisance.

Alors que votre scepticisme semble vous quitter, vous décidez de prendre la parole pour tester ledit esprit. « Esprit, peux-tu m’aider à parler à ma grand-mère ? ». Question piège, vos deux grand-mères sont bien vivantes. Le pointeur indique non. « Esprit, peux-tu m’aider à parler à mon grand-père? », cette fois, la présence indique oui. « Lequel? », moment de vérité, personne ne connaît le nom de votre grand-père à cette table hormis vous. La planche glisse et indique une à une les lettres formant le prénom de votre grand-père.

Des variantes de cette histoire, on en entend presque toustes, peut-être même que certain.e.s d’entre vous en sont le.la protagoniste. Plusieurs ont communiqué avec des membres de leur famille, d’autres ont essayé de prédire le futur, toustes sont convaincu.e.s d’avoir ouvert un portail vers l’au-delà. Malheureusement pour les voyant.e.s et chasseur.euse.s de fantôme en herbe, un regard scientifique sur le ouija nous apporte des réponses bien plus rationnelles que les rencontres avec les défunts , mais pas moins intéressantes pour autant.

C’est au 19e siècle que le spiritualisme commence à prendre racine aux États-Unis, alors qu’il était déjà bien présent en Europe. Les sœurs Fox, qui prétendaient pouvoir communiquer avec l’au-delà, ont captivé le public américain, donnant ainsi un essor au spiritualisme vers 1848. À une époque où les gens mourraient jeunes, où porter un enfant pouvait facilement mettre fin à une vie et où les hommes allaient en guerre, communiquer avec les esprits apportait du réconfort (Rodriguez McRobbie, 2013 ). 

Avant toute chose, prouvons une fois pour toutes que ce sont les joueur.euse.s qui contrôlent le pointeur. Il suffit pour cela d’une expérience toute simple, comparons une séance normale à une séance où les participant.e.s ont les yeux bandés. On devrait avoir des résultats comparables si ce sont bien des forces surnaturelles qui déplacent le pointeur, or ce n’est pas le cas. Dans un épisode du National Geographic un groupe jouant au ouija les yeux découverts semble bien en contact avec l’autre monde, l’une des participantes parvient même à parler avec son grand-père, mais les choses se gâtent quand on leur couvre les yeux. Si le pointeur se déplace toujours, il n’indique rien de bien cohérent. Il vogue plutôt au hasard et s’arrête parfois dans des espaces vides. Pourtant, avant de connaître les résultats, les joueur.euse.s sont convaincu.e.s de n’avoir aucun contrôle sur la planchette. Certains expert.e.s du paranormal avancent différentes explications à ce phénomène, comme le besoin pour les participant.e.s d’être parfaitement conscient de leur environnement ou la vision des esprits reposant sur celle des joueur.euse.s. Les psychologues expliquent plutôt ce résultat par le phénomène idéomoteur.

C’est en 1891 qu’apparaissent les premières publicités sur le ouija, où on le décrit comme un jeu magique qui répond aux questions sur le passé, le présent et le futur. On en parle également comme un jeu qui ne manquera jamais d’amuser les joueur.euse.s. Le ouija, qui était alors fait de bois, était annoncé au prix de 1,50$ (48,92 USD aujourd’hui) (Rodriguez McRobbie, 2013). 

Le phénomène idéomoteur, ou réflexe idéomoteur, est une action ou un comportement inconscient qui est engendré par une pensée plutôt qu’un stimulus (Carpenter, 1852). En gros, nous bougeons sans même nous en rendre compte, si nous croyons que nous allons bouger ou que quelque chose va bouger. Ainsi, si nous pensons que la planchette va se déplacer, inconsciemment nos doigts, nos bras, nos épaules font un mouvement.

En plus du ouija, cette théorie explique plusieurs autres expériences souvent attribuées au paranormal ou certaines pseudosciences. Par exemple, le docteur Hyman, appelé comme témoin dans le procès d’un chiropraticien, explique comment un outil utilisé par ce dernier repose sur le réflexe idéomoteur. On utilise l’appareil en frottant sa main sur une planche de plastique tout en bougeant une lentille sur le dos du patient. Si l’on rencontre de la friction sur la planche, c’est que la lentille passe sur une zone malade. Cependant, le docteur Hyman prouve que l’effet de friction est plutôt attribué à nos attentes et notre subconscient en utilisant des étudiant.e.s comme cobayes. Iels utilisent la machine de la même façon, cependant on leur explique que leur main collera à la planche quand ils passent sur une carte de couleur rouge. Non seulement les étudiant.e.s ressentent ce phénomène, mais l’une panique, convaincue que c’est l’œuvre du diable. Si l’on répète la même expérience, mais en précisant que leur main collera s’iels passent sur une carte noire, leur attente change et le résultat correspond à ce qui leur est expliqué. Il suffit donc d’anticiper un mouvement ou une sensation pour se convaincre que le phénomène s’est bien produit (Hyman, 2003).

En 1886, la presse témoigne d’une nouvelle pratique, les talking boards. L’outil permettrait de communiquer avec les esprits plus aisément et rapidement. Quatre ans plus tard, Charles Kennard aurait formé un groupe d’investisseurs afin de mettre en marché ce qui allait être le ouija. Cependant, ce n’est qu’en 1891 que le jeu a pu se retrouver sur les tablettes. En effet, Kennard souhaitait obtenir un brevet et pour cela, il fallait prouver à l’avocat que le jeu fonctionnait. Il aurait demandé à Kennard que la planche épelle son nom, qui n’était pas connu de Kennard ni de son associé. Le ouija permet-il vraiment de parler à l’au-delà ou ces hommes d’affaires ont-ils obtenu le nom avant l’entrevue? On ne le sait toujours pas, mais le ouija a bel et bien été mis en marché et l’est encore aujourd’hui (Rodriguez McRobbie, 2013 ). 

Outre le phénomène idéomoteur sur lequel nous reviendrons plus tard, d’autres études montrent que les joueur.euse.s de ouija savent d’avance où le pointeur va se déplacer. Dans une étude où le regard des participant.e.s est suivi par ordinateur, iels regardaient parfois d’avance la lettre ou le chiffre que la planchette va indiquer. Plus on est loin dans la réponse, plus on est susceptible de « deviner » ce que sera la prochaine lettre. Par exemple, si l’on demande le nom de l’esprit, on a peu de chance de deviner les deux premières lettres, mais si l’on indique S et A on aura tendance à regarder tour à tour vers M,U,E et L. Les scientifiques en concluent donc que les résultats du ouija sont un résultat de notre tendance à vouloir donner du sens à des évènements aléatoires (Anderson, 2018). Cette même étude montre aussi que les participant.e.s sous-estiment leur propre contribution au déplacement du pointeur. Les plus superstitieux.euse.s attribuent son déplacement aux forces surnaturelles, les autres ont tendance à accuser leurs homologues.

Au-delà des études portant spécifiquement sur le ouija, les chercheur.euse.s se sont également penché.e.s sur le lien entre la personnalité et la perception de causalité. Dans une expérience de 2018, les cobayes étaient d’abord invité.e.s à répondre à un test servant à savoir s’iels étaient pragmatiques ou superstitieux.euse.s. On posait des questions, par exemple sur l’efficacité des porte-bonheurs. Ensuite, on leur demandait de faire une expérience impliquant un bouton et une lumière. Les participant.e.s avaient le choix d’appuyer sur ce bouton, ou de s’abstenir d’y toucher, à 40 reprises. Le test était conçu pour que l’ampoule s’illumine 60% du temps, peu importe la décision des participant.e.s. Suite à l’exercice, iels étaient interrogé.e.s quant à leur impression de la cause à effet entre le geste d’appuyer sur le bouton et l’illumination de l’ampoule. La majorité considérait qu’enfoncer le bouton avait un lien avec la probabilité que la lumière s’allume, même si en réalité ce lien était inexistant.. Enfin, les personnes ayant des tendances d’avantage superstitieuses y voyaient une correspondance plus  forte (Griffiths, 2018). Cette observation peut expliquer pourquoi certain.e.s d’entre nous, s’iels ne connaissent pas l’explication scientifique, peuvent plus facilement identifier les esprits comme étant la source du déplacement de la planchette de ouija.

Malgré notre déconstruction du mythe paranormal entourant le ouija, ce jeu reste d’un grand intérêt, car même s’il ne permet pas de communiquer avec les revenants, il nous permet de communiquer avec l’inconscient. Dans une étude de 2012, des cobayes répondaient par oui ou par non à un test de connaissances générales en indiquant ensuite lesquelles de leurs réponses étaient choisies au hasard. Ces questions étaient ensuite posées dans un jeu semblable au ouija, où les joueur.euse.s avaient les yeux bandés pour leur cacher qu’iels étaient en vérité les seul.e.s à bouger l’indicateur. De cette manière, la planche, donc les cobayes avait un taux de bonne réponse de 65% pour des questions auquels iel n’avaient pas la moindre idée de la réponse, donc 15% plus élevé qu’en répondant consciemment au questionnaire. Les expert.e.s pensent donc qu’il est possible d’accéder à des connaissances inconscientes en utilisant le phénomène idéomoteur, et de répondre à des questions dont nous ignorions nous même avoir la réponse (Gauchou, 2012).

En 1966, le géant Parker Brothers achète les droits du jeu. L’année suivante, c’est plus de deux millions de copies qui ont été vendues, dépassant même les ventes du Monopoly. Aujourd’hui, le ouija est toujours présent dans la culture populaire américaine. Un film dont l’histoire est basée sur le jeu a même été réalisé en 2014, puis la suite en 2016. (Rodriguez McRobbie, 2013).   

Si le ouija ne permet malheureusement pas de communiquer avec les morts, malgré ce que les témoignages et nos propres expériences nous disent, il peut nous en apprendre beaucoup sur notre propre esprit. Les mouvements inconscients, notre tendance à tirer des conclusions d’événements aléatoires et notre propension à trouver des liens de cause à effet où il n’y en a pas expliquent ensemble comment nous nous convainquons habilement d’avoir percé le voile de l’au-delà, et ce, malgré notre plus grand pragmatisme. Cependant, ce jeu reste fascinant, car si les esprits restent silencieux, c’est avec une partie bien mystérieuse de notre esprit que nous entrons en contact avec eux. 

Sources : 

  1. Carpenter, W. (1852) On the influence of Suggestion in Modifying and directing Muscular Movement, independently of Volition. P. 147-153. https://www.sgipt.org/medppp/psymot/carp1852.htm
  2. Gauchou, H. Rensink, R. Fels, S. (2012) Expression of nonconscious knowledge via ideomotor actions. Consciousness and Cognition, vol 21. P. 976-982. https://www2.psych.ubc.ca/~rensink/publications/download/Ouija-GRF.pdf
  3.     Andersen, M. Nielbo, K.L. Schjoedt, U. et coll. (2019)  Predictive minds in Ouija board sessions. Phenomenology and the Cognitive Sciences, vol 18, P. 577–588 https://link.springer.com/article/10.1007/s11097-018-9585-8#citeas
  4. Griffiths, O. Murphy, R. Shehabi, N. et coll.. (2018) British Journal of Psychology. https://www.researchgate.net/publication/327223124_Superstition_predicts_perception_of_illusory_control
  5. Hyman, R. (2003) How People Are Fooled by Ideomotor Action. Quackwatch. https://quackwatch.org/related/ideomotor/

6. Rodriguez McRobbie, L. (2013).  The Strange and Mysterious Story of the Ouija Board. https://www.smithsonianmag.com/history/the-strange-and-mysterious-history-of-the-ouija-board-5860627/

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