D’habitude, je vais au travail à pied, j’ai toujours aimé marcher, mais ce matin, ma collègue me propose de passer me prendre en voiture. La température hivernale a raison de mon courage et je finis sur le siège passager. La radio nous donne une excuse pour ne pas parler. J’essaye d’abord de suivre les paroles de ces êtres sans visage, mais je dois me rendre à l’évidence ; le sujet me reste étranger. Les minutes passent et les mots des animateur.rices se heurtent à mon incapacité d’écouter.
Les termes restent simples, pourtant les phrases formées me paraissent des énigmes que je n’ai pas le courage de résoudre, ni la curiosité.
Ma curiosité est demeurée coincée à l’intérieur de mes cahiers d’école, entre les pages perdues de mes débuts créatifs. Elle n’a pas su faire face à l’anxiété, à la survivance et au besoin de ne plus penser à rien. Mon esprit, depuis l’adolescence, ingère des sons du matin au soir, la plupart du temps jusque dans la nuit. Je suis incapable depuis bientôt sept ans de dormir en silence. Des vidéos YouTube se succèdent sur mon téléphone, tandis que je m’endors; mais aussi lors de mes tâches ménagères ou de la rédaction de mon mémoire.
Tout se construit dans ma vie pour me refuser de pousser ma compréhension du monde plus loin qu’un bruit de fond.
Pourtant, mon esprit repère un mot qui revient à plusieurs reprises dans le sujet du jour. Ma collègue monte le son :
Débâcle.
Le mot se glisse jusque sous ma peau. Le sens d’abord abstrait me semble familier, intime. Des termes se bousculent dans ma tête.
L’effondrement, la catastrophe, la chute.
La nature, l’humain, la précipitation de ce qui aurait dû être évité.
L’Arctique, les rivières, les glaciers.
La sensation de se noyer sous le regard d’étrangers, de proches aussi.
La certitude de ne pas être assez pour soi, pour les autres, pour le monde.
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Ma journée de travail passe comme un coup de vent, je me retrouve à marcher sur le bord de l’avenue Maguire.
J’utilise les derniers pourcentages de mon téléphone pour chercher les définitions du Robert de ce mot qui tourne encore et encore dans mon esprit.
Rupture subite de la couche de glace (d’un cours d’eau) dont les morceaux sont emportés par le courant.
Fuite soudaine (d’une armée).
Effondrement soudain.
Mon téléphone s’éteint.
Ma colocataire me demande la soirée même si je ressens l’écoanxiété. Je lui demande si elle arrive à dormir dans le silence, si elle réussit à faire taire ses pensées sans devoir les noyer.
« Noyer mes pensées, ce serait me tuer. »