Pièce du maître de l’absurde, Eugène Ionesco, Les chaises raconte l’histoire d’un couple reclus sur une île. Le vieux, «maréchal des logis» de sa fonction (concierge), a un message à transmettre à l’humanité. La vieille Syracuse – référence à une sorte de siège – alterne entre la franche admiration pour son mari et la rancœur acidulée.
Mon «chou» et ma «crotte» se tiraillent donc entre fierté et aigreur, entre une vie agréable et un rêve des possibilités. Très juste dans leur jeu, Réjean Vallée et Nancy Bernier soutiennent cette pièce avec vigueur, comique et justesse.
Avec un tel texte, il aurait été facile de tomber dans la démesure, style Le cœur a ses raisons. Bravo à Bertrand Alain (Arcadia et Le malade imaginaire au Trident, 24 poses (portait) à la Bordée), pour sa mise en scène qui aura permis aux acteurs de développer leurs nuances comme il se doit.
L’aspect physique de la prestation d’une heure trente m’a soufflé. Les acteurs se gâtent en grimpant, rampant sous les bancs, dansant… Quelle force, quelle forme pour déclamer leur ligne parmi leurs mouvements! Et surtout, quelle puissance d’interagir avec des personnages inexistants, de nous permettre de sentir la foule autour d’eux qui les bouscule, alors qu’ils ne sont que deux sur scène!
S’il y a un élément remarquable dans la pièce présentée au Théâtre de la Bordée, c’est bien celui du décor. Quelle ingéniosité que cette chaise géante qui pivote, permettant au duo d’acteurs de se mouvoir d’un lieu à l’autre, de grimper les marches jusqu’au toit qui est en fait le profil de la chaise. Chapeau bas à Vano Hotton qui signe ici une structure de bois brut absolument magnifique, magistrale même. Les plus petites chaises, toutes couvertes de tissus blancs lacés de façon aléatoire, ne parviennent pas à voler la vedette à cette massive chaise autour de laquelle évolueront les personnages de chair et d’os et ceux qui ne seront que vide et imagination.
Clin d’œil aussi à l’orateur, personnage présent dans le texte, mais absent de la scène. Filmé à l’hôtel Pur et projeté sur un tissu noir, l’orateur attend son tour pour déclamer le message du vieux, mais ne prononcera jamais mot.
En somme, une pièce divertissante, bien réussie, drôle. Soyez prêts à comprendre l’absurde, à être déstabilisés, sous peine de ne pas aimer.
Par Marie-Ève Muller
Quoi : Les chaises, de Eugène Ionesco, mis en scène par Bertrand Alain
Quand : Du 6 novembre au 1er décembre
Où : Théâtre de la Bordée