ALEXANDRE BOURBAKI
Aucune mention générique, papier glacé inédit, un six-coups de cowboy disséqué en première de couverture, un solénoïde sur la quatrième : mais qu’est-ce que ce Traité de balistique ? Et qui est Alexandre Bourbaki ? À la première question, la réponse semble simple : un recueil de quinze nouvelles et de quatre microbandes dessinées dans lesquelles se côtoient ou se croisent, de la Russie à la Gaspésie, de 300 av. J.-C. jusqu’à 2003, musiciens traditionnels russes, homme-émetteurs radio, armes de poing et on en passe. À la deuxième interrogation : (Nicolas) Bourbaki est un mathématicien imaginaire. Un révolutionnaire scientifique du XXe siècle — du moins dans la réalité. Quant à Alexandre, il s’agit du pseudonyme de Nicolas Dickner, Bernard Wright- Laflamme et Sébastien Trahan.
En ouvrant les pages du traité, on entre en territoire connu, dans un univers qui rappelle Dickner : géographies mouvantes interreliées, personnages carnavalesques, champs lexicaux scientifiques, un brin d’ironie et un style soigné, toujours adapté aux personnages et aux contextes. La science y devient processus créatif, ce qui rappelle l’Ouvroir de littérature potentielle et la science-fiction classique, mais qui n’en est pas. Nicolas Dickner et cie se sont forgé une place à part — et ce n’est pas une utopie.
Que peut-on reprocher à Alexandre Bourbaki ? D’utiliser trois fois le mot mystérieux dans la même nouvelle ? Peut-être. De laisser grandes ouvertes les portes de l’interprétation, de nous imposer des rendez-vous manqués, de mélanger les genres, d’être ironique ? Alors autant blâmer toute la littérature postmoderne.
Si on écrit une critique littéraire «journalistique» à propos de ce livre, c’est qu’il mérite d’être disséqué à l’instar du six-coups de cowboy de la couverture. Comme dans l’Impromptu de la roulette russe , la nouvelle-théâtre existentialiste, vous serez placé face à un revolver. Sauf que ce sera un dix-neuf coups. Et qu’il n’y aura que vous.
VOUS : C’est maintenant que j’appuie sur la gachette ?
LE REVOLVER :…
J’ai oublié de vous dire : il y a dix-neuf balles.
Mathieu Villeneuve