La liberté académique est une valeur de notre Université. Du moins, c’est ce qu’elle a réaffirmé en fin de session dernière, dans « Unis et engagés pour la liberté académique » et « Recommandations – Séjours aux États-Unis ». Le titre de ces messages, sans lien a priori, semble prendre leur sens en opposition aux mesures américaines visant à réorienter la recherche universitaire. Alors que la « liberté académique » suscite de vifs débats, son encadrement aux États-Unis soulève des enjeux qui dépassent les frontières — avec des répercussions bien réelles pour le milieu universitaire canadien.
Par Christophe Saillant, journaliste collaborateur
Qu’est-ce que « la liberté académique»?
Le 28 mai 2025, l’Université Laval a officiellement pris position en faveur de la liberté académique, qu’elle définit comme « la possibilité [inscrite dans une démarche scientifique rigoureuse] d’exprimer des idées opposées aux normes et de questionner les pratiques établies […] sans crainte de représailles». On tend à confondre cette liberté avec la liberté d’expression, mais la liberté académique concerne plus spécifiquement la production de savoir (recherche, livres, articles, cours) par des professionnels dans leurs domaine(s) d’expertise respectif(s). Ce savoir est généralement soumis à un contrôle de qualité, ce qui met en jeu la crédibilité d’une institution académique en plus de celle de l’expert. En somme, la liberté académique est la liberté de produire un savoir sanctionnée par certaines institutions, et ce, sans subir de contraintes extérieures.
Nous allons le voir, l’administration Trump exerce des pressions sur les organisations savantes américaines, ce qui a des répercussions sur les experts et chercheurs canadiens. À cette fin, les deux principaux moyens dont dispose Washington sont les révisions budgétaires ainsi que les régulations d’organismes fédéraux.
Révisions bugétaires
En mai dernier, l’administration Trump a demandé d’examiner des dons fédéraux d’une valeur de 100 millions de dollars américains accordés à l’université d’Havard, en vue de les couper ou de les redistribuer. Cette mesure serait motivée par le refus de l’université de se plier aux demandes de l’administration concernant plusieurs enjeux politiques et idéologiques. Elle s’inscrit dans le cadre plus large de pressions monétaires que subissent plusieurs institutions académiques et auxquelles elles sont vulnérables : en 2023, 53% des revenus totaux des universités publiques américaines venaient de divers paliers de gouvernement américain, selon le National Center for Educational Statistics. Les universités privées, quant à elles, bénéficient de réductions d’impôts et de dons fédéraux importants. Or, il semble que ce financement concerne surtout la recherche universitaire. Par conséquent, plusieurs recherches peuvent et ont été abandonnées faute de financement.
Régulations d’organisations fédérales américaines.
Le gouvernement américain exerce aussi des pressions sur ces institutions de manière indirecte, par la régulation d’organismes fédéraux. Par exemple, en mai dernier, le Department of Homeland Security (DHS) a décrété qu’Harvard ne pourrait plus accepter d’échanges étudiants venant de l’étranger, prétextant une collaboration avec le parti communiste chinois. Cette mesure aurait empêché les étudiants canadiens d’entrer en relation avec l’université américaine.
Par ailleurs, le département américain Health and Human Services, l’Agency for Healthcare Research and Quality, et l’Office of Personal Management ont censuré plusieurs articles publiés sur le site gouvernemental PSNET, portant, entre autres, sur la santé de personnes transgenres. Cette censure est conforme à l’ordre exécutif Defending women from gender ideology extremism and restoring biological truth to the federal government. Cependant, les auteurs de l’article censuré voulaient assurer de meilleurs soins pour les patients appartenant à cette démographie. Dans la même veine, le CDC, une agence gouvernementale, a ordonné la rétractation et la censure de tous ses articles contenant des mots interdits, incluant «transgenre».
Les Conséquences
Ces mesures du gouvernement américain ne sont pas sans conséquences pour les savants canadiens. Certaines conférences canadiennes aux États-Unis ont été annulées par des universités américaines en raison de conflit idéologique, d’autres sont annulées par les professionnels eux-mêmes: « Par mesure de prudence, certains collègues ont décidé d’annuler des prestations », remarque Abdolaye Anne, professeur titulaire de l’Université Laval en sciences de l’éducation. Qui plus est, les États-Unis sont un acteur important dans le domaine de la recherche. Ainsi, plusieurs chercheurs canadiens reçoivent également des sous-traitances d’universités américaines financées par les Instituts Nationaux de la Santé (NIH) pour réaliser une partie des recherches au Canada. Or, en vue des révisions budgétaires de Washington, certaines universités américaines ont réduit leurs dépenses et annoncé un gel d’embauches. Les révisions budgétaires de l’administration Trump ont détruit plusieurs projets de recherche américains. Le monde académique n’opère pas en vase clos : les chercheurs canadiens et internationaux s’appuient souvent sur la recherche américaine. Ainsi, les infractions américaines à la liberté académique : rétractations, censures, pressions budgétaires peuvent appauvrir l’état général des connaissances humaines, surtout dans les domaines politiquement sensibles.
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