C’est Ici par hasard qui lance la saison théâtrale 2025-2026 du Périscope. Programmée jusqu’au 27 septembre seulement, la pièce de Carolanne Foucher mise en scène par Cédrik Lapratte-Roy, aborde, avec justesse et humour, la fratrie, la question du suicide et plus largement celle de la perte.
Par Emmy Lapointe, rédactrice en chef
Texte : Carolanne Foucher | Mise en scène : Cédrik Lapratte-Roy | Interprètes : Carolanne Foucher, Mary-Lee Picknell, Odile Gagné-Roy, Simon Beaulé-Bulman | Costumes & Accessoires : Elisabeth Coulon-Lafleur | Éclairages : Joëlle Leblanc | Conception sonore : Marie-Frédérique Gravel | Scénographie : Nadine Jaafar
Séjour
Un an après le suicide de leur plus jeune sœur Irène, le reste de la fratrie, Olga, Macha et André, se retrouve au chalet familial pour répandre ses cendres. Mais l’exécution de la tâche se fait sous le signe d’une maladresse venteuse; et voilà, quelques heures plus tard, Irène est debout dans le salon.
Les limites du réel
Ici par hasard comme Manipuler avec soin, la première pièce de Carolanne Foucher, se déploie à travers un réalisme magique. Et c’est ce réalisme magique qui permet à l’autrice, ironiquement peut-être, d’être aussi juste quand elle aborde des thématiques aussi complexes qu’immenses comme le deuil amoureux et le suicide.
Un écrivain américain (je les mélange tous) a dit que la fiction n’avait aucun compte à rendre au réel, et dans un contexte d’hyperproductions médiatiques et culturelles, il me semble que c’est encore plus vrai. Pour sortir du bruit ambiant, les récits se doivent de court-circuiter le réel, et Ici par hasard, en ramenant à la vie une vingtenaire suicidée le temps d’un séjour, fait exactement ça, déjouer l’indicible.
Une autre force du texte tient à son équilibre de langage, de ton et de rythme. Entre les engueulades sororales ou fraternelles, les aveux de colère, de culpabilité, les rires – parce qu’on rit beaucoup – et les monologues boréals, Ici par hasard ne parait jamais trop et parvient à nous étonner.
Les frère et sœurs
Tous les membres du quatuor sont bien campés. Carolanne Foucher, dans le rôle d’Irène, incarne à la fois la confiance et le décalage de celleux qui nous échappent. Simon Beaulé-Bulman a tout d’un frère qui a grandi entouré de sœurs : la douceur, une intelligence émotionnelle qui échappe à la majorité des hommes, mais aussi cette frustration de ne pas toujours être inclus ou pris au sérieux. Mary-Lee Picknell (Olga) matérialise ce que le texte laissait entendre : elle aurait pu être Irène, mais quelque chose comme une rage de vivre l’en empêcherait. Odile Gagné-Roy porte une Macha qui oscille entre une force silencieuse, rationnelle et une grande envie de donner du sens aux signes.
Et leurs dynamiques à deux, à trois, à quatre nous laissent le droit de croire que cette distribution de comédien.nes est vraiment née, dans une même famille, au courant des années 90, dans une ville à une heure ou deux des Cantons-de-l’Est.
Au-delà du texte
Le travail de Cédrik Lapratte-Roy à la mise en scène et celui de Joëlle Leblanc à la conception d’éclairages ont rendu la magie du texte (et du sous-texte) visible; quoi de mieux que des cendres qui s’écoulent du plafond et une lumière de fever dream pour nous rappeler que le temps passe, mais qu’il peut parfois se disloquer un peu.
Suite de saison
Le Périscope a mis la barre haute en ouvrant sa saison avec Ici par hasard. Toutefois, lancer sa programmation seulement deux semaines avant le début du spectacle, ce n’était pas le coup marketing de l’année. On espère que les bons mots au sujet de la pièce circuleront assez vite pour que la salle se remplisse pour chaque représentation d’ici le 27 septembre, parce qu’Ici par hasard s’adresse tout autant aux enfants uniques, qu’aux troisièmes d’une famille de cinq, qu’aux endueuillé.es d’aujourd’hui que celleux à venir.