Sandra Perron, autrice et présidente de l’association Pepper Pod, centre de ressourcement pour vétéranes, a tout d’abord été la première femme officier d’infanterie dans l’armée canadienne. Au côté de la réalisatrice Mélanie Charbonneau, elle raconte maintenant son histoire sous les traits de Nina Kiri dans le film Seule au Front dont la sortie est prévue le 26 septembre dans les salles de cinéma.
NDLR : Il s’agit d’une histoire vraie basée sur un livre, mais nous vous avisons tout de même : l’article contient des divulgâcheurs.
Par Léon Bodier, chef de pupitre aux arts
Établi sur deux temporalités, le long-métrage vise à exposer la vie d’une femme qui, malgré les épreuves psychologiques et physiques, est déterminée, depuis ses 14 ans, à combattre au front. Personne n’aurait alors pu présager de sa démission en 1995, quatre années après son déploiement. Lors de l’avant-première au cinéma Le Clap de Québec le 17 septembre, Charbonneau annonce pour lancer la projection « c’est le silence qui m’a marqué dans cette histoire ». Le ton est donné.
Dès l’arrivée de Sandra à la base militaire de Gagetown en 1991, les blagues, traitements différentiels et commentaires déplacés fusent ; le harcèlement sexuel est omniprésent a la caserne. Pourtant, son enthousiasme et son plaisir à suivre la formation d’infanterie restent palpables, et la cinématographie en témoigne. Lors des entraînements et des exercices de groupe, la caméra en plans larges comme rapprochés, perd Sandra. Celle-ci se fond dans le groupe : elle fait partie d’un tout, un élément indispensable d’une future ligne de défense du Canada.
Là où sa voix se fait entendre parmi ses frères d’armes, elle s’estompe dès que Sandra est seule. Lorsqu’elle se sent observée, ce sont les voix d’autres qui inondent ses pensées sur un fond de cuivres militaires que le partenaire de la réalisatrice a empilés sur la bande son. L’une de ces scènes qui m’a semblé particulièrement marquante est celle de la salle de sport où la respiration des hommes qui la regardent envahit l’espace, souvenir traumatique d’un harcèlement par téléphone qui ressurgit.
Dans les jours suivant sa démission, une photo vient la hanter; c’est celle de son exercice du prisonnier, durant lequel la capitaine s’est retrouvée attachée à un arbre pendant des heures, battue avec un bout de bois, sans chaussures dans la neige. L’homme accusé est le Capitaine Prichette ; les médias et ses anciens supérieurs attendent que Sandra le pointe du doigt. Lors d’une rencontre entre les deux des années plus tard, l’homme lui souffle: « Talk if you want don’t talk if you want. You are not tied to a tree. » Parle si tu veux, ne parle pas si tu ne veux pas. Tu n’es pas accrochée à un arbre.
Naturellement, l’actrice qui interprète Sandra force à faire un rapprochement à The Handmaid’s Tale, série-télévisée dans laquelle Nina Kiri a joué jusqu’en 2022. Son personnage, Alma, se pose en quelque sorte à l’opposé de Sandra. La première se retrouve dans un régime où le silence est forcé et elle n’arrive pas à l’accepter, alors que son second personnage, dans Seule au front, préfère ne pas parler alors que tout le monde essaie de l’y forcer. Ce que les généraux ne semblent pas comprendre, c’est que ce silence, imposé aux femmes à travers les âges, est, dans les mains de Sandra, une arme.
L’exercice du prisonnier, et sa perception par les médias, ne saurait jamais montrer ce qu’elle a vécu derrière les lignes de front : « The real shit I went through doesn’t show on a picture sergeant ». Comme elle le dit dans le film: « There isn’t enough camouflage to hide me in an army full of mens » et pendant l’avant première: « I’ve always wanted to be on the front. When I did, I never thought the enemy was inside my camp. » Toujours observée, toujours jugée, son silence est son arme pour toutes les femmes. Seule, elle représente la moitié de la population du Canada. Si elle ne parle pas, c’est pour ses futures sœurs d’armes. Forcée à vivre l’inimaginable, à subir ce que les mots ne sauraient dire, elle les garde pour elle, et par là, prouve que les femmes prennent soin d’elles-mêmes. Sandra Perron termine la projection du 17 septembre en disant : « les femmes forment un tissage très serré. »
Finalement, le film se termine avec un plan serré de Sandra lors de la fête de retraite pour son père, et malgré qu’elle n’ait pas réussi à avoir la même carrière que lui, elle ne pense pas l’avoir déçue. Parce que finalement, avec ce plan serré, aucune autre voix que la sienne. Et en 2025, c’est maintenant une femme qui mène l’armée canadienne.
Lors de l’avant-première, Sandra répond à un homme dans le public qui souligne « qu’ils ne sont pas tous comme ça », qu’elle « ne changerait rien » à ce qu’elle a vécu. Devant sa famille et le 22e régiment, ancienne unité de Sandra basée à Valcartier où une partie du film a été tournée, l’équipe de femmes à l’origine du film dit souhaiter que cette histoire soit vue par le plus grand nombre afin de comprendre la force de la parole dans un silence imposé. C’est d’ailleurs par enjeux d’accessibilité que la réalisation s’est faite en anglais malgré une production québécoise.
Une mission que Sandra Perron continue avec Paper Pods à Chelsea ; elle invite d’ailleurs à participer à la levée de fonds organisée lors de la projection du film à Ottawa le jeudi 25 septembre (https://nac-cna.ca/fr/event/39504).