Le jeudi 9 octobre 2025 marquait une date importante pour la CAQ et le Québec alors que le ministre de la Justice et des Relations Internationales, Simon Jolin-Barrette, a déposé le projet de loi 1 sur la constitution du Québec, un projet loin de faire l’unanimité.
Par Elwin Atagana, journaliste collaborateur
Le dépôt du projet de loi
Selon le ministre de la Justice, cette constitution devrait devenir la « loi des lois ». Elle officialiserait ce que la CAQ considère comme les valeurs fondamentales de la nation québécoise, et déterminerait l’ensemble des devoirs de l’État ainsi que des droits individuels et collectifs des Québécoi.es. Qui plus est, elle conférerait plus d’autonomie au Québec, notamment en consacrant la doctrine Gérin-Lajoie voulant que le Québec élabore de façon autonome ses relations internationales.
Dans ses entrevues, M. Jolin-Barrette rappelle que le sujet de la constitution québécoise est déjà discuté depuis plus de deux siècles, mais que le projet n’avait, jusqu’alors, jamais abouti. Selon lui, cette constitution serait apartisane. Elle représenterait l’ensemble des intérêts du Québec et non ceux de la CAQ.
L’opposition et le Bloc Québécois
À l’heure actuelle, l’ensemble de l’opposition ainsi que le Bloc Québécois est opposé au projet de loi tel que présenté. Il déplore principalement le manque de consultations dans l’élaboration du document. Ruba Ghazal, co-porte-parole de Québec Solidaire, affirme que le gouvernement a « gâché » ce qui devait être un moment historique pour le Québec en présentant la constitution comme un projet de loi banal. Le parti propose de bloquer le projet de loi par diverses manœuvres parlementaires.
Yves-François Blanchet, chef du Bloc Québécois, considère qu’il est inconcevable qu’un gouvernement majoritaire puisse unilatéralement imposer une constitution. D’autant qu’un gouvernement ultérieur pourrait également la modifier sans consultation. Il craint que la constitution devienne « une auberge espagnole de changements constitutionnels ».
Le Parti Québécois ne croit pas au succès du PL1. Selon son chef, Paul St-Pierre Plamondon, une constitution n’a pas lieu d’être en dehors d’un Québec indépendant. Il compte profiter des consultations générales du 4 décembre pour montrer les limites du projet.
Pablo Rodriguez, chef du Parti Libéral du Québec, s’oppose au projet de loi. Il pense, au contraire, que le Québec devrait signer la constitution canadienne, une rupture avec la ligne traditionnellement tenue par son parti.
Les enjeux autochtones
Le ministre affirme avoir consulté différentes communautés autochtones. Cependant, l’Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador affirme qu’aucune consultation réelle n’a eu lieu avant le dépôt du projet à l’Assemblée nationale.
Les rares mentions des communautés autochtones, dans la constitution, sont vagues et minimalistes. Le texte prévoit que les Autochtones pourront maintenir et développer leurs langues et leurs cultures d’origine, mais sans plus de détail. De plus, tandis que les droits collectifs de la nation québécoise s’interprètent de manière « extensive » sur l’ensemble du territoire, le sujet de la gouvernance des territoires autochtones n’est pas abordée, guère plus que les traités ancestraux garantis par l’article 35 de la loi constitutionnelle canadienne. En ce qui concerne le mandat prévu du Conseil constitutionnel, il se concentrerait sur les intérêts de la nation québécoise, sans mentionner les Premiers Peuples.
Les enjeux féministes
Le projet de loi prévoit de garantir le droit à l’avortement. La Fédération du Québec pour la planification des naissances s’oppose à cette disposition. Selon elle, c’est précisément l’absence de législation sur le sujet qui garantit ce droit. Légiférer sur l’avortement ouvrirait la porte à celles et ceux qui souhaitent contester ce droit. L’association, soutenue par QS, s’indigne du fait que les femmes sont considérées comme des « cobayes législatifs ».
À ces contestations, le ministre Jolin-Barrette répond que le droit à l’avortement est déjà remis en question par certains mouvements réactionnaires, et qu’il est, pour cette raison, essentiel d’accorder à l’État québécois la responsabilité de protéger ce droit.
Le Canada et la souveraineté du Québec
La constitution du Québec modifierait unilatéralement certaines dispositions de la Loi constitutionnelle canadienne de 1867. Questionné sur la possible subordination de la constitution québécoise à la loi canadienne, le ministre rétorque que le cadre constitutionnel canadien sera présent, mais que le Québec a un droit de regard sur les dispositions de la loi canadienne qui concernent le Québec. La loi québécoise s’appliquerait aux champs de compétences du Québec. La CAQ rompt ici avec les traditionnels défenseurs du projet constitutionnel tels que René Lévesque, qui considéraient cette initiative comme un premier pas vers l’indépendance du Québec.
L’État de droit
L’article 5 du projet de loi, portant sur l’autonomie constitutionnelle, prévoit de retirer aux organismes financés par des fonds publics le droit de contester la constitutionnalité des lois votées à l’Assemblée nationale. Plusieurs juristes et associations dénoncent ici un effritement de l’État de droit. Cet article menacerait notamment la commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse ou encore le Protecteur du citoyen qui verraient alors leurs moyens d’action profondément limités. Selon Karine Millaire, professeure de droit constitutionnel à l’Université de Montréal, adopter le projet de loi 1 octroierait beaucoup de pouvoir au gouvernement du Québec, tout en retirant certaines de ces obligations. Elle est persuadée que cette constitution est irrattrapable et que le gouvernement doit abandonner le projet dans sa forme actuelle.
Les consultations prévues
En réponse à la très forte opposition de la part de partis politiques, juristes et associations, le ministre Jolin-Barrette souhaite procéder à des consultations publiques le 4 décembre. Plusieurs juristes et professeur.es de droit se disent peu convaincu.es par cette initiative et craignent que ces consultations soient instrumentalisées pour augmenter l’acceptabilité sociale du projet sans que l’avis des juristes ne soit sincèrement pris en compte. Simon Jolin-Barrette reste confiant et pense pouvoir convaincre l’opposition d’adhérer à son projet.
Sources
Cantin, Gabrielle. « La Constitution du Québec est “vouée à l’échec”, juge une experte ». LeQuotidien, 16 novembre 2025. https://www.lequotidien.com/actualites/politique/2025/11/15/la-constitution-du-quebec-est-vouee-a-lechec-juge-une-experte-SB7WUWYDRZA4VMCNQNQDFPUUAY/.
Cantin, Gabrielle. « Loi 1: «aucune consultation réelle», dénoncent les Premières Nations ». leSoleil, 9 octobre 2025. Loi 1: «aucune consultation réelle», dénoncent les Premières Nations.
Ghazal, Ruba. « Constitution du Québec : Ruba Ghazal dénonce un manque de consultations | Zone info ». 9 octobre 2025. Radio-Canada. https://www.youtube.com/watch?v=XJD5Oq5Qi-M&t=17s.
Honey, Kim. « Quand la Constitution québécoise ignore les peuples autochtones ». The Conversation, 27 octobre 2025. https://theconversation.com/quand-la-constitution-quebecoise-ignore-les-peuples-autochtones-268329.
Jolin-Barrette, Simon. « Une constitution pour le Québec : entrevue avec Simon Jolin-Barrette, ministre de la Justice | 24•60 ». 9 octobre 2025. Radio-Canada. https://www.youtube.com/watch?v=hhm1FTzXk8c.
Labbé, Jérôme. « Constitution du Québec : le PQ participera à regret à la consultation générale ». Radio-Canada, 21 octobre 2025. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2201118/constitution-parti-quebecois-pspp.
Lachapelle, Judith. « Les constitutionnalistes ont du mal à dormir ». La Presse, 17 novembre 2025. https://www.lapresse.ca/dialogue/chroniques/2025-11-17/projet-de-loi-no-1/les-constitutionnalistes-ont-du-mal-a-dormir.php.
Prince, Véronique. « Québec solidaire invite les partis d’opposition à « bloquer » la Constitution québécoise ». Radio-Canada, 20 octobre 2025. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2200497/quebec-solidaire-blocage-constitution-quebecoise-obstruction-parlement.
Sioui, Marie-Michèle. « Pablo Rodriguez souhaite que le Québec signe «un jour» la Constitution canadienne ». LeDevoir, 21 octobre 2025. https://www.ledevoir.com/politique/quebec/926826/pablo-rodriguez-souhaite-quebec-signe-jour-constitution-canadienne.



