Après s’être produite dans une salle comble le 4 décembre, Loreena McKennitt a presque réédité l’exploit le lendemain : seuls quelques sièges, au fond du parterre et des balcons, étaient encore vides lorsque la grande dame de la musique celtique est montée sur la scène du Grand-Théâtre, pour la deuxième fois en autant de jours. Calme et souriante, l’artiste canadienne a salué la foule avec chaleur, avant d’entamer une grande soirée de musique, et un fabuleux voyage dans l’univers musical des Celtes, aussi riche que vaste.
Nathan Murray
Visiblement en grande forme, la voix toujours aussi mélodieuse et éblouissante, l’auteure-compositrice-interprète était entourée d’une magnifique équipe de musiciens. Caroline Lavelle, au violoncelle et aux voix, proposait une musique éthérée, aérienne, profondément émouvante. Si le vieux complice de McKennitt Brian Hugues, alternant entre la guitare électrique et les instruments à cordes traditionnels, s’est fait relativement discret, ses arrangements enveloppants n’en ajoutaient pas moins force et textures à l’atmosphère musicale. Ben Grossman, aux percussions, et Dudley Philips, à la contrebasse, s’en sont aussi tirés avec les honneurs. C’est cependant le violoniste Hugh Marsh, servi il est vrai par un répertoire destiné à le faire briller, qui a attiré sur lui tous les regards, surprenant la foule tantôt par de magnifiques fulgurances, tantôt par de virtuoses élans mélancoliques. Loreena elle-même, passant de la harpe à l’accordéon, de l’accordéon au piano, a su hypnotiser la salle Louis Fréchette avec sa musique inspirée. Plusieurs pièces purement musicales, dont la nostalgique Between the Shadows, ont d’ailleurs suscité l’enthousiasme de la foule, conquise par l’énergie et le plaisir apparent de la troupe.
Tantôt assise, tantôt debout sur une scène décorée de grands candélabres et d’un antique réverbère, Loreena McKennitt a su, à la fois par sa musique, sa voix et ses paroles, guider le public à travers les méandres de ses multiples voyages dans les contrées celtes. Les anecdotes ont en effet été nombreuses, les explications parfois longues, mais toujours pertinentes, porteuses d’émotion, de sens — et parfois de rire, à l’exemple de ce croustillant portrait d’un chauffeur d’autobus irlandais. Des steppes de Sibérie au désert de Maroc, de l’Espagne à l’Irlande, la grande musicienne a fait voyager la foule, l’emmenant sur les traces des Celtes, ce peuple qu’elle étudie depuis plus de trois décennies, et dont elle tente de rendre l’âme à travers ses chansons. Une bonne maîtrise de l’anglais était cependant essentielle pour profiter pleinement des exposés de l’artiste, qui a tenu à s’excuser en début de soirée pour sa mauvaise maîtrise du français — précisant au passage que les seules expressions dont elle se souvenait étaient ces phrases toutes faites que l’on apprend à l’école, du type « j’ai peur que ce soit la grippe ». Charmante confession d’une femme dont on pardonnera aisément les lacunes langagières. La Canadienne s’est aussi permis, en début de spectacle, un sympathique avertissement à l’endroit d’un spectateur indélicat, caméraman indiscret trahi par la lumière de son appareil…
Au-delà des présentations et des anecdotes, cependant, il y avait la musique, il y avait le chant, porté par la superbe voix de Loreena McKennitt, riche et sucrée, vibrante. La première partie a notamment été marquée par l’hymne environnemental Bonny Portmore, pleurant sur les vertes forêts d’Irlande; par l’émouvante et amoureuse Down by the Sally Gardens ; par la joyeuse et dansante The Star of the County Down ; et par la poignante The Wind that Shakes the Barley. Le tout s’est terminé de manière grandiose avec Bonny Swans, sans doute l’une des plus belles pièces de l’artiste.
La seconde moitié du spectacle s’est révélée encore plus puissante et plus belle, marquée notamment par de superbes envolées musicales et des pièces adorées du public. Après un magnifique doublé Mystic’s Dream et Santiago — sans aucun doute l’une des plus belles interprétations de la soirée -, qui a déchaîné les applaudissements du public, Loreena McKennitt et ses musiciens ont notamment interprété The Lady of Shalott, Peneloppe’s Song et All Souls Night, portées par un souffle immense. Never-Ending Road et The Parting Glass, élégamment mariées, ont clôt la soirée de magnifique manière. L’artiste est par la suite revenue par deux fois sur scène, avant de disparaître sur les dernières notes de Snow, laissant derrière elle un public ravi de son voyage au cœur de contrées enchanteresses.