Dernier roman de Gilles Archambault, Lorsque le coeur est sombre, paru ce mois-ci aux éditions Boréal, dépeint la réunion de cinq personnes, camarades ou amis, de près ou de loin, autour d’un souper au Dragon Orange, un restaurant chinois bas de gamme; repas convié par le personnage central. Plus précisément, cette histoire met en scène des personnalités tout aussi diversifiées les unes que les autres : Ghislain — un ancien comédien désormais octogénaire, conscient de sa vieillesse bien entamée, mais qui cherche à séduire une jeune ingénue prénommée Éliane ; Marie-Paule — son ancienne compagne, maintenant mariée à un autre homme, qui nourrit toujours de bons sentiments à son égard; Yves — un écrivain et professeur, ami de longue date des deux précédents, se questionnant sur sa relation avec sa charmante épouse pour qui il n’éprouve plus que de la tendresse ; Luc — un chômeur dans la quarantaine, bohème sans le sou ainsi qu’Annie — la fille d’un ami de Ghislain qui se conduit comme une véritable séductrice à la recherche du plaisir.
Le roman, comportant diverses intrigues propres à chacun des cinq personnages, se divise à la manière d’une pièce de théâtre en plusieurs actes, une belle mise en abîme qui ravira le lecteur aguerri, et met en scène chacun des protagonistes à tour de rôle. C’est donc à travers la perception et les pensées de Ghislain, Marie-Paule, Yves, Luc et Annie et du déroulement de leurs journées respectives, allant du matin jusqu’au soir, que se construit le récit en spirale. À la fois charmante et parfois déroutante, force est de constater que cette structure sied bien à l’écriture de Gilles Archambault.
Cet aspect, doublé à un langage riche, coloré et sensible, fait de Lorsque le coeur est sombre une oeuvre touchante. À cet effet, nous citons un passage particulièrement vibrant : « La vieillesse, cette mort qui bouge, n’est pas moins sinistre que la rigidité cadavérique [ … ] Quand je sors de la baignoire de peine et de misère, je ne manque jamais de me dire qu’un jour prochain, je glisserai, me fracturant une hanche » ( p. 214 ). Tel un matériau brut, le langage choisi par Archambault nous met en contact direct avec la détresse et la solitude de ses personnages; sentiments auxquels nul ne peut échapper.
Ainsi, par une narration polyphonique, l’oeuvre de Gilles Archambault prend elle-même des allures de théâtre et nous livre un témoignage sur la vie, de l’amour, de l’amitié, de la solitude et même de la mort, à différents âges ; une impression qui n’est pas sans rappeler ses précédentes oeuvres dont Nous étions encore jeunes ( 2009 ). Une belle lecture qui nous séduit et nous fait réf léchir sur notre parcours personnel.
Annick Cayouette