Répondant à l’appel de six organismes communautaires de la région de Québec, 250 personnes se sont mobilisées samedi dernier au parc de l’Université-du-Québec afin de dénoncer les coupures à l’aide sociale annoncées par la ministre de l’Emploi et de la Solidarité sociale Agnès Maltais. Une manifestation familiale et festive a ensuite parcouru les rues du quartier St-Roch.
Raphaël Létourneau
Mis à part l’impatience d’un automobiliste, la manifestation s’est déroulée paisiblement sous le rythme des slogans et d’une fanfare harmonieuse. Toutefois, quelques coins de rue avant de clore la manifestation devant les bureaux de la ministre, les forces policières ont indiqué qu’elles n’étaient plus en mesure d’assurer la sécurité des manifestants. Elles ont alors donné l’ordre qu’ils se dirigent sur le trottoir. Le groupe reprit tout de même la rue quelques minutes plus tard sans altercation.
Afin d’augmenter la pression, l’organisation de l’événement a aussi évoqué qu’une déclaration d’appui dénonçant les réformes de l’aide sociale avait été concoctée. Le document, qui sera remis au gouvernement, rassemble les signatures de 66 groupes communautaires, populaires, féministes, du mouvement syndical et du mouvement étudiant. Plus de 10 300 personnes ont également signé une pétition du Front commun des personnes assistées sociales, parrainée par Françoise David, député de Gouin pour Québec Solidaire. D’autres actions sont à venir dès ce mercredi 10 avril alors qu’un 24 heures de résistance est prévu devant le ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale.
Au cours de la journée de samedi, divers organismes communautaires, représentants du milieu syndical et citoyens ont prononcé des discours d’opposition envers les coupures qui doivent toucher de nombreux assistés sociaux dès le 1er juin.
« Pourquoi couper les prestations des personnes et des familles et aggraver leur situation, ce qui va à l’encontre de la lutte à la pauvreté ? Est-ce que l’atteinte du déficit zéro justifie d’en arriver là ? Comment ce gouvernement peut-il justifier de le faire sur le dos des personnes et des familles qui sont en lutte tous les jours pour se nourrir, pour se loger, pour se soigner et surmonter des conditions de vie difficiles ? Ce gouvernement, qui a reculé lorsqu’il a visé les plus nantis, n’hésite pas à appauvrir davantage les plus démunis pour poursuivre son objectif du déficit zéro », a lancé Marlène Lapointe, représentante régionale de Québec – Chaudière-Appalaches à la condition féminine pour le Syndicat de la fonction publique et parapublique du Québec.
Plusieurs milliers de familles touchées
Rappelons que la ministre de l’Emploi et de la Solidarité sociale, Agnès Maltais, a annoncé le 27 février dernier diverses modifications à l’aide sociale pour « favoriser le retour à l’emploi ». Pour ce faire, l’allocation de 129 $ par mois pour contrainte à l’emploi qui vise les prestataires de 55 ans et plus passera à 58 ans. Cette mesure touchera approximativement 1500 ménages par mois la première année, 7000 pour la seconde, 11 500 pour la troisième et 13 900 pour la quatrième selon le ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale. Dans la même optique, l’allocation de contrainte à l’emploi de 129 $ ou 221 $ ( selon l’admissibilité ) pour les familles biparentales ayant à charge un enfant de moins de cinq ans sera aussi annulée. C’est donc 7900 ménages qui seront affectés la première année et 9700 pour la seconde. De même, une diminution des prestations qui couvrent les frais de séjour pour les soins en toxicomanie avec hébergement concernera 1800 prestataires la première année et 2150 pour la seconde.
Pour obtenir une allocation temporaire de 195 $, les prestataires devront accepter de participer à un programme de réinsertion
à l’emploi.
Selon Julie Bellavance du Regroupement des organismes communautaires de la région 03, les réformes de l’aide sociale motivées par l’emploi et le déficit zéro ne tiennent pas compte de la contribution des moins nantis à la société.
« Ce qui est le plus navrant, c’est que souvent les personnes les plus démunies financièrement, mais surtout pas de talents et de capacités, participent à la vie en société. Malheureusement, tout cela n’est pas calculé dans notre fameux PIB, d’autant plus que ce travail bénévole se fait dans des organismes communautaires, à but non lucratif, qui sont peu considérés par nos élus […]. Des bénévoles sont impliqués dans notre société à leur rythme et à la mesure des moyens qu’on veut bien leur donner. Ces gens-là existent et sont loin de vivre à nos crochets comme certains se plaisent à le dire. Leurs contributions sont invisibles dans les statistiques purement économiques ».
À l’encontre de la Charte des droits et libertés
La semaine dernière, la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse jugeait sévèrement les modifications à l’aide sociale. La Commission a accusé l’abolition des allocations pour contrainte à l’emploi d’aller à l’encontre de plusieurs articles de la Charte des droits et libertés tels que : le droit à la vie, à la sûreté et à l’intégrité physique et psychologique ( article 1 ), le droit au respect de la dignité ( article 4 ), le droit d’un enfant à la sécurité, l’attention et la protection ( article 39 ) et le droit à un niveau de vie décent ( article 45 ). Le droit à l’égalité ( article 10 ) serait aussi bafoué par les coupures associées aux soins en toxicomanie.
À ce jour, certaines discussions ont déjà eu lieu entre la ministre Agnès Maltais et divers organismes communautaires. « On sait déjà qu’il y a des pourparlers, qu’il y a des discussions, mais le bris de confiance est là parce qu’on ne peut pas dire que les promesses du parti québécois, depuis le début de son gouvernement minoritaire, ont été tenues. On ne se contentera pas de paroles, on veut des actions », affirme Marie-Ève Duchesne du Regroupement des femmes sans emploi du Nord de Québec ( ROSE du Nord ).
Pour sa part, la ministre Agnès Maltais a affirmé qu’elle rencontrerait à nouveau les divers groupes après la période de réception des commentaires qui se termine le 15 avril. « D’ici là, ils s’expriment, c’est correct, c’est la démocratie, mais je veux rassurer tout le monde : je vais protéger les plus vulnérables, ça fait partie de mes valeurs fondamentales en politique ».
Par la même occasion, elle a réitéré que l’emploi est favorisé comme « sortie durable de la pauvreté » et qu’elle s’engage à « n’échapper personne ».
En 2012, 7 % de la population du Québec vivait avec l’aide sociale, dont 108 000 enfants. La prestation de base pour l’aide sociale est de 604 $ par mois.