La couverture bleue de Chanson Française de Sophie Létourneau te rappelle que le ciel est aujourd’hui terriblement gris. Tu lis les premières phrases, les premières pages. « Venue acheter une boîte de céréales, tu en profitais pour jeter un coup d’œil à l’allée des surgelés dans l’espoir d’y rencontrer l’homme de ta vie. Il n’était jamais là. » Ça commence bien ; le tu en narration, ça te parle. Tout au long du livre, cette instance narrative particulière, comme un heureux mélange de l’étranger et de l’alter ego, s’adresse au personnage principal et le raconte en même temps. Elle crée une certaine proximité, un monde clos dont on ne peut sortir. Ça aurait pu devenir agaçant à la longue, mais non.
Chanson Française, c’est l’histoire de Béatrice et de ses amours, belles mais malheureuses comme celles de Barbara, qui décide de quitter Montréal et sa classe de 2e année pour aller enseigner à d’autres frimousses à Paris. C’est l’histoire d’une jeune femme qui veut voir sa vie fleurir ailleurs. C’est aussi parfois l’histoire de Véro, de Christophe et de Julien, des verres de vin en solitaire ou entre amis, des promenades dans les ruelles, des sandales qui meurtrissent les pieds en juillet, de la chapka de fourrure réapparue et du téléphone qui ne sonne pas, de l’attente de celui qui pourrait être au bout du fil.
Le roman est habilement construit, suit le fil des saisons montréalaises et parisiennes, dans un univers tout simple, mais si invitant qu’on a l’impression d’appartenir à l’histoire dont les pages défilent sans peine, tellement vite qu’on voudrait pouvoir les ralentir. On se sent devant le roman comme devant un vieux disque que l’on peut faire rejouer sans cesse, sans s’en lasser. Il faut le dire, l’auteure raconte bien, et juste assez. Sauf une fois, peut-être. Les trois dernières pages du roman condensent près d’une vingtaine d’années et laissent un léger goût d’amertume sur les lèvres, comme ont le don de le faire les images bucoliques sous-titrées d’un « 10 ans plus tard » à la fin des films. N’empêche, suffit de reculer un peu, de s’accrocher à une autre dernière phrase, qui laisse place au rêve ou à l’illusion, qui laisse les mots en suspens, tel un refrain chanté en boucle qui s’estompe. Comme les grandes de la chanson française, Sophie Létourneau a les mots justes, les mots beaux, les mots vrais. Et une voix pour les dire.
Anne-Catherine Gagné