Alors que les chercheurs de toute la francophonie se réunissaient à Québec afin de célébrer la vitalité de la recherche scientifique d’expression française, le gouvernement fédéral annonçait une redéfinition du mandat du conseil national de recherches du Canada. Ainsi, au moment même où l’on célèbre la recherche avec enthousiasme, le gouvernement fédéral prend une décision qui selon plusieurs aura un grand impact sur la vie de la population en donnant au CNRC le mandat d’offrir des services de recherche centrés sur l’industrie au détriment de la recherche fondamentale.
Un exercice extrêmement positif
Sous le thème des « savoirs sans frontières », s’est déroulé le 81e congrès de l’Association francophone pour le savoir ( ACFAS ). Tenu du 6 au 10 mai, l’événement est le plus important rassemblement multidisciplinaire du savoir et de la recherche de la Francophonie. L’université Laval était l’hôte de cet événement majeur où plus de 4 000 communications scientifiques ont été faites devant plus de 6 000 scientifiques issus de tous les domaines de la science.
Mise sur pied en 1923, l’ACFAS, auparavant nommée l’Association canadienne-française pour l’avancement de la science, visait à l’époque à regrouper les chercheurs francophones de tous les domaines. L’association visait également à développer l’amour des sciences et à encourager les vocations scientifiques chez les canadiens-français.
Pour la directrice générale de l’organisation, Esther Gaudreault, le fait que plus de 6 000 chercheurs francophones ressentent le besoin de se rencontrer au congrès de l’ACFAS prouve la vitalité de la recherche francophone et l’importance de la diversité culturelle et linguistique dans la recherche.
Mme Gaudreault considère le congrès comme un exercice extrêmement positif malgré l’annonce officielle du changement de mandat du CNRC. L’annonce s’est déroulée le 7 mai en présence du ministre des sciences et des technologies, Gary Goodyear.
Les retombées avant la science
Le ministre a annoncé que le CNRC se concentrera désormais sur les besoins de l’industrie canadienne. « Le CNRC offrira à l’industrie canadienne un accès à la recherche et développement stratégique dont elles ont besoin pour connaître du succès », a déclaré le ministre.
« La priorité absolue du gouvernement consiste à créer des emplois et à assurer la croissance et la prospérité à long terme du pays pour le plus grand avantage de tous les Canadiens », a affirmé Claude Carignan, leader adjoint du gouvernement au Sénat.
« Il est drôle d’entendre parler de long terme alors que c’est penser à très court terme » affirme Pierre-louis Gosselin-Lavoie, vice-président interne de l’AELIÉS, l’association des étudiants inscrits aux cycles supérieurs, organisation représentant plus de 10 000 étudiants, dont une bonne partie sont eux-même des chercheurs. « C’est un drôle de mouvement que de recentrer sur l’industrie puisqu’elle s’intéresse de toute façon à la recherche, fondamentale ou non, c’est travailler en myope, même pour l’industrie ça ne paraît pas payant ».
« Il faut faire preuve d’une grande vigilance par rapport à la mise en oeuvre de cette nouvelle mission », a expliqué Sophie D’Amours, Vice-rectrice à la recherche et à la création, « Il faut protéger les emplois en recherche et technologie. Il ne faut pas perdre ça dans le changement de modèle, le CNRC doit garder une perspective de long terme, sans nuire à une industrie de support forte ». L’important est donc de s’assurer que la mission du CNRC demeure la recherche et l’innovation et qu’elle ne bascule pas vers un rôle de consultant et d’équipementier.
Pour François Talbot, président de l’AELIÉS, si Isaac Newton vivait à notre époque, ses travaux sur les lois de la physique n’auraient pas été encouragés dans le cadre du nouveau mandat du CNRC puisque ses recherches n’avaient pas de débouchés pratiques à l’époque. Une preuve par l’absurde que « cette décision va avoir des coûts économiques et sociaux importants ».
Il faut faire attention à la différentiation entre la recherche fondamentale et la recherche centrée sur l’industrie, a suggéré Mme D’Amours. De la recherche en développement durable, par exemple, pourrait intéresser une firme aéronautique soucieuse de la consommation de ses aéronefs. Des recherches à première vue fondamentale peuvent donc se révéler économiquement attrayantes.
Dans le cadre de ce nouveau mandat, « la propriété intellectuelle devient un grand problème », nous dit M. Gosselin- Lavoie, « il y a lieu de sortir les briques et le fanal ». Du côté de l’ACFAS, « un équilibre est nécessaire entre la recherche fondamentale et celle centrée sur l’industrie et entre la recherche libre et la recherche dirigée » a affirmé Mme. Gaudreault.
Dans le mémoire déposé par l’AELIÉS au sommet de l’enseignement supérieur, il est écrit que l’association appuie la création d’un ministère provincial regroupant à la fois l’enseignement supérieur et la recherche, ce qui est le cas depuis les élections de 2012. « Cette décision modifie en quelque sorte la façon de voir la recherche au Québec, en tenant compte davantage de l’acquisition et la transmission des connaissances, non pas exclusivement des retombées économiques qu’elle peut générer » observe le mémoire.
Ainsi, au sein de l’AELIÉS, la solution semble se trouver du côté de Québec. « Nous sommes en faveur que le gouvernement du Québec gère l’ensemble des sommes » a dit M. Talbot, que le gouvernement du Québec entame des négociations avec le fédéral dans le but de rapatrier les fonds dédiés à la recherche et l’innovation est donc une priorité pour l’AELIÉS et constituerait une manière efficace de recentrer la recherche sur les prioritées québécoises.
De plus, une réorientation des organismes subventionnaires est également à craindre, nous affirme M. Gosselin-Lavoie. Il voit en effet d’un mauvais oeil la tendance générale du gouvernement fédéral à dévaloriser la recherche fondamentale et craint qu’à terme les organismes subventionnaires en viennent également à payer la note. Ce qui ne serait pas une bonne nouvelle pour les universités puisqu’elles sont un lieu privilégié pour la science, regroupant l’enseignement et la recherche sous un même toit.
« On n’est pas contre, mais pas au détriment de la recherche fondamentale », laisse entendre Yves Lacouture, président du syndicat des professeurs. « Nous défendons la nécessité de défendre la recherche fondamentale et libre ».