Sous la direction de Marcel Martel, professeur au Département d’histoire de l’Université York à Toronto, et de Martin Pâquet, professeur d’histoire à l’Université Laval, l’ouvrage Légiférer en matière linguistique est le fruit de la collaboration d’une vingtaine d’acteurs ayant tous œuvré, de près ou de loin, à l’épineuse question linguistique au Canada. La pertinence des questions relatives à la dualité linguistique canadienne a poussé les auteurs à offrir un nouveau regard multidisciplinaire. «Avec la Loi sur les langues officielles de 1969, le principe du bilinguisme a été établi un peu partout au Canada, mais avec beaucoup de difficulté et de manière inégale», analyse Martin Pâquet.
Les minorités francophones
Si la consolidation du français relève plus de l’acquis que de l’éphémère au Québec, la situation est plus précaire chez les communautés francophones à l’extérieur de la province. En Saskatchewan et en Alberta, les communautés francophones sont constamment confrontées à l’isolement linguistique. Joseph-G. Turi, secrétaire général de l’Académie internationale de droit linguistique, craint que la charte canadienne ne soit de peu d’aide : «Aujourd’hui, les minorités francophones du Canada sont très bien protégées par la Charte. Le problème, c’est qu’il est peut-être trop tard.»
De son côté, Pierre Foucher, professeur de droit à l’Université d’Ottawa, considère que le droit doit encore tracer les frontières en matière de gouvernance pour les minorités linguistiques : «Il y a encore plusieurs pans de droit qui restent à aller chercher. Il y a tout l’aspect du droit à la gouvernance qui n’est pas encore bien délimité, ou qui n’est pas encore bien reconnu. On constate par contre que ça commence à émerger. J’ai l’impression que l’on va assister à des développement, à ce sujet, au cours des prochaines années». L’expert en droit constitutionnel et linguistique considère que de futurs acquis en ce qui a trait à la gouvernance sont nécessaires à la survie des minorités. «Je suis un de ceux qui pensent que l’avenir est là-dedans. Les communautés ont intérêt à contrôler leurs propres instances de gouvernance pour prendre leurs propres décisions dans les domaines qui les concernent, comme on l’a eu en éducation», plaide-t-il.
L’influence des tribunaux
Le transfert des litiges linguistiques vers les tribunaux est monnaie courante au Canada. En 2006, le gouvernement conservateur abolissait le Programme de contestation judiciaire du Canada. Entre autres, ce programme, créé en 1994, finançait les actions en justice de groupes minoritaires de partout au Canada, notamment les minorités linguistiques. Une poursuite intentée par la Fédération des communautés francophones et acadiennes a notamment poussé le gouvernement Harper à revenir sur sa décision et négocier un règlement à l’amiable. Sous peu, le retour du programme doté d’un budget de 3M$ devrait être formellement annoncé. C’est grâce à ce programme que les Franco-Ontariens avaient pu sauver l’hôpital francophone Montfort, contre la volonté du gouvernement de Mike Harris.
«Les questions linguistiques au Canada sont moins sensibles qu’elles ne l’étaient. C’est un des effets du passage du problème du politique au droit. Un de ces effets, c’est que l’on se retrouve plus souvent devant les tribunaux pour débattre de ces questions. Ce n’est pas moins émotif, mais beaucoup plus encadré. Un procès, c’est formel et ça avance un pas à la fois. Ça a eu comme impact d’enlever les crises linguistiques que l’on a eues dans les années 80 et qui étaient extrêmement tendues et politiquement chargées», fait valoir Pierre Foucher.
L’exemple du Canada
Malgré de nombreuses difficultés et la persistance des conflits linguistiques, le Canada est un pays largement étudié dans le monde en matière. «En acceptant les lois 22 et 101, le Canada a accepté des lois très dures. À tort ou à raison, le Canada est considéré comme un modèle dans le monde. Les conflits linguistiques s’y résolvent pacifiquement», dit Joseph-G. Turi.
Pour Pierre Foucher, les tribunaux ont permis de créer l’équilibre entre les différents intérêts et les droits qui sont en jeu. Selon lui, les tribunaux canadiens se sont bien acquittés de leur tâche, ce qui permet au pays de servir de référence sur la question. «Je pense que le Canada est cité en exemple un peu partout. Ce qui est certain, c’est qu’il est très étudié. J’ai fait beaucoup de droit comparé et le Canada sert régulièrement de modèle de référence. L’Irlande par exemple, a une nouvelle loi sur les langues officielles depuis deux ou trois ans avec un commissaire aux langues officielles. Elle a été basée sur la loi fédérale canadienne.»