Divisé et fragilisé

Spéculer sur la source de la crise existentielle qui sévit dans le mouvement étudiant ne peut se faire sans mettre en lumière un des ses principaux talons d’Achille : la dissension. En effet, la grève de 2005 a non seulement déçu beaucoup d’étudiants par son dénouement, mais a surtout crée un profond clivage entre les principales entités revendicatrices québécoises. Au moment où la mobilisation battait son plein au Québec, quelques ténors étudiants québécois remettaient en doute la légitimité de la FEUQ (Fédération étudiante universitaire du Québec) –l’association est la seule instance étudiante que le gouvernement reconnaît comme interlocuteur – pour négocier au nom de tous les étudiants universitaires. L’entente signée par la FEUQ avec le gouvernement a créé bien du mécontentement. De la somme retirée au programme de bourses, l’exécutif feuquien a poussé le gouvernement à réinvestir 70 M$ pour l’année 2005-2006 et 103 M$ pour 2006-2007. Le gouvernement québécois a refinancé en grande partie sa propre coupe budgétaire via le programme canadien de prêts aux étudiants et la Fondation des bourses du millénaire.

Le retour à la case départ en a déçu plus d’un, malgré l’apparence de victoire. Rapidement, la FEUQ, qui a fortement recommandé à ses membres de voter pour l’entente, s’est retrouvée sur la défensive. Tantôt on lui reprochait de ne pas avoir été assez loin dans ses demandes, tantôt on lui reprochait de ne pas avoir été à l’écoute de ses composantes les plus importantes. Ainsi, la CADEUL, forte de 28 000 membres, et la Student’s Society of McGill University (SSMU), représentant aussi plus de 20 000 membres, ont notamment claqué la porte, insatisfaites du peu d’écoute de l’exécutif feuquien. D’autres ont suivi. De cette façon, le nombre de membres de la fédération est passé d’un sommet historique de 180 000 en 2005 à 120 000 aujourd’hui.

Statu quo et méfiance
Trois ans plus tard, la tension est toujours palpable à l’intérieur du mouvement étudiant québécois. Dernièrement, un membre sortant de l’exécutif de la FEUQ y est allé d’une sévère diatribe envers les associations étudiantes indépendantes. Dans sa lettre de démission, on peut lire : «Ainsi, la pire gangrène qui détruit le rapport de force générale des étudiants face au gouvernement est la volonté de certains de favoriser la voie de l’indépendance, que je nommerai poliment comme étant la déconstruction, l’indifférence et l’affaiblissement concerté par et pour les étudiants.» Le même membre ajoute qu’être indépendant, en ce qui concerne les associations étudiantes, c’est jouer à l’autruche.

«Ce n’est pas rare dans le mouvement étudiant que des mésententes d’ordre personnel entre des exécutants soient montées en épingle et dégénèrent en conflit entre les associations. Il n’y a personne qui sort gagnant à ce moment», commente David Paradis, de la FEUQ. De son côté, Jérôme Lankoandé, de l’ÆLIES, estime que l’esprit corporatiste doit être surpassé : «Je ne suis pas sûr de saisir pourquoi il ne peut y avoir d’union sacrée autour de certaines revendications. Il manque de confiance entre les différentes associations. Ce n’est pas une question de position idéologique. C’est plutôt sur la confiance de travailler ensemble. Depuis la désaffiliation, il n’y a pas eu de vrai mouvement dans les deux sens. Personne ne va vers l’autre. J’estime que l’heure est venue où il faut avoir le courage de mettre de côté nos égos, de mettre de côté nos revendications corporatistes, pour que l’on puisse défendre l’essentiel. Il faut que l’on travaille ensemble. Il y a urgence de travailler ensemble.»

Pour l’avenir
Malgré tout, tous s’entendent pour dire que le pire est passé dans le mouvement québécois et que la période de reconstruction est commencée. «Le mot désunion est un peu fort parce qu’il n’y a jamais eu d’homogénéité. Ça date d’il y a très longtemps. Il n’y a jamais eu de bloc monolithique, de courant de pensée unique. Il y a toujours eu un côté avec un penchant très radical, un autre penchant qui était plus axé sur les modifications légales, économiques, plus pragmatiques. En ce sens c’est quand même sain parce que ça fait un brassage d’idées. L’union totale du mouvement étudiant québécois est un mythe. Ça relève plus de la légende que de la réalité», analyse Davis Paradis.

«Il faut reconnaître que le mouvement étudiant est allé chercher beaucoup d’acquis. Il a encore du potentiel pour apporter du changement dans la société. Je pense que cela s’explique par le cycle de vie du mouvement. Je crois que le cycle reviendra pour nous apporter plus de gains. J’espère que nous n’aurons pas pire que ce qui s’est passé l’année dernière. Sinon, ce sera la catastrophe. Si chaque année, il y a des augmentations et nous ne faisons rien, je ne vois plus notre utilité», expose Jérôme Lankoandé, de l’ÆLIES.

Derrière les apparences, reste que des milliers d’étudiants partout dans la province s’activent dans les associations étudiantes. Après tout, sans cette implication, à terme, les associations n’auraient plus leur raison d’être. Pour plusieurs, la période de la reconstruction entre dans une nouvelle phase, alors que 2005 s’éloigne chaque jour. Peu importe la tangente que prendra le mouvement, les étudiants seront toujours confrontés à eux-mêmes en premier lieu. Étudier pour devenir travailleur le plus tôt possible? Ou d’abord devenir citoyen?

Auteur / autrice

Consulter le magazine