Crédits photo : Québec Cité

Annulation des festivités d’ouverture de Gabrielle-Roy : une épopée livresque

On ne compte plus les reports de l’ouverture de la bibliothèque Gabrielle-Roy, rue Saint-Joseph. Cette fois-ci cependant, ce ne sont pas les délais de construction qui retarderont cet évènement tant attendu, mais plutôt un conflit de travail entre l’ICQ et les employé.es syndiqué.es des bibliothèques de Québec. Les festivités d’ouverture, annulées, avaient en outre fait jaser : sont-elles justifiées dans le contexte socio-économique de la Basse-Ville ? Comment la présence accrue de personnes en situation d’itinérance dans le quartier s’articulera-t-elle avec ce futur lieu culturel novateur ?

Par Emmy Lapointe, rédactrice en chef, et Florence Bordeleau, journaliste multiplateforme

 

Les employé.es des bibliothèques en grève générale illimitée

Mardi dernier, le syndicat des Travailleurs et des travailleuses unis de l’alimentation et du commerce (TUAC 501) a envoyé un avis de grève à l’employeur, l’Institut canadien de Québec (ICQ) ainsi qu’au ministre du Travail et au Tribunal administratif du Travail. Après plusieurs semaines de négociations, des points majeurs achoppent encore, notamment au niveau des horaires (quarts de travail sur appels, déplacement de bibliothèque en bibliothèque, etc.) et du salaire. Rappelons que les 240 employé.es des bibliothèques de la ville de Québec qui regroupent essentiellement des commis, des technicien.nes en documentation et des préposé.es au classement sont sans contrat de travail depuis le 31 décembre 2022. La grève générale illimitée commencera donc le 1er mars 2024. À noter que bien que les grévistes recevront une compensation financière moindre en comparaison à leur salaire habituel, leur fond de grève est pour ainsi dire quasi illimité, puisque ce sont les 1,4 million de membres du TUAC qui y contribuent.  

Le début de la grève concordait avec l’ouverture de la bibliothèque Gabrielle-Roy et ses festivités.

Des festivités d’ouverture annulées

Le maire de Québec, Bruno Marchand, a plus tôt cette semaine affirmé vouloir maintenir les activités d’ouverture de Gabrielle-Roy. « Si le maire Marchand souhaite briser une ligne de piquetage en maintenant les festivités d’ouverture le 1er mars, c’est lui qui l’aura sur la conscience », affirme la porte-parole du TUAC en entrevue le 21 février. Le maire s’est cependant rétracté cinq jours plus tard, annulant du même coup les activités prévues. Mais le mal est-il fait ? Cette prise de position n’a-t-elle pas envoyé comme message aux employé.es qu’iels ne sont pas si important.es? 

Trois journées d’activités qui ont fait jaser

Le mandat a été offert, sans appel d’offres, à BLEUFEU, compagnie de gestion culturelle qui connaît bien le quartier Saint-Roch (elle est entre autres derrière le festival St-Roch XP). 300 000 $ ont donc été investis pour l’ouverture de la bibliothèque Gabrielle-Roy. À titre comparatif, l’inauguration de la Maison de la littérature, en 2015, a coûté 350 000 $. Le montant débloqué pour Gabrielle-Roy est donc, à titre comparatif, une somme tout à fait raisonnable, mais le contexte actuel, soit celui d’un conflit de travail, a rendu la chose plus difficile à avaler pour certain.es. La précarité de personnes en situation d’itinérance sur la rue Saint-Joseph accentue par ailleurs ce possible malaise : la Ville peine à trouver assez de budget pour engager et payer convenablement un.e coordinateur.rice pour le refuge de nuit, situé juste en face de la bibliothèque, mais peut se permettre de dépenser une bonne somme pour l’ouverture d’une bibliothèque municipale.

Pourquoi donc avoir déployé tant de budget, considérant ces deux éléments d’autant plus que la bibliothèque est de toute façon très attendue de la population locale ? En entrevue, Mme Vallières-Roland de la Ville affirme qu’il faut selon elle faire toujours plus d’efforts pour promouvoir l’offre culturelle auprès de la population. Les gros noms à l’affiche pour l’ouverture servent donc à attirer les citoyen.nes vivant dans des quartiers plus excentrés – clientèle que la bibliothèque espère conserver, considérant que cette dernière propose un concept tout à fait original pour Québec.

Et la bibliothèque, une fois ouverte ?

L’aménagement de la bibliothèque Gabrielle-Roy a été pensé en foyers thématiques – 10 au total – qui auront chacun leur facture visuelle, leur couleur. Entre le foyer Cuisine du rez-de-chaussée, celui de Musique et cinéma ou de Langues et littérature aux étages supérieurs, la bibliothèque arbore une approche novatrice de l’accès aux savoirs. 

Il sera également possible d’avoir accès à des salles de travail individuel ou d’équipe ainsi qu’à la location d’instruments de musique. Autre nouveauté : une salle de diffusion sans fenêtres avec régie, lumières, etc., qui pourra servir pour les arts, spectacles ou conférences pour les organismes qui n’ont pas de locaux fixes. 

Si Gabrielle-Roy peut maintenant se permettre ces nouveaux services, et ce, sans amputer sa collection de documents, c’est qu’elle a vu sa superficie augmenter de 25%.  En outre, l’œuvre de Michelle Beauchemin, qui occupait un grand espace près des escaliers dans l’ancienne bibliothèque, a bénéficié d’un petit coup d’amour et pourra être à nouveau admirée, tout comme la nouvelle pièce d’art public signée Ludovic Bonnet.

Une cohésion sociale à rénover

Lorsque la bibliothèque a fermé ses portes il y a presque six ans, la situation était un peu différente dans Saint-Roch. On était pré-pandémie, et bien que la question sur l’itinérance et la cohabitation dans le quartier était présente, elle n’occupait pas la même place qu’aujourd’hui. Gabrielle-Roy a aussi toujours été fréquentée par des personnes en situation d’itinérance, tout comme elle l’a été par des étudiant.es, des familles, etc. Il s’agit d’un endroit sécuritaire où toustes doivent pouvoir venir y chercher calme, informations, outils et culture. 

Cependant, quiconque a vécu, travaillé ou passé du temps dans Saint-Roch dans les derniers mois sait que l’ambiance est plus difficile. Les ressources manquent, les outils aussi, et on sent une certaine fatigue du côté des groupes marginalisés et, dans une autre mesure, chez les commerçant.es, entre autres. 

En prévision de cette cohésion sociale à construire entre les murs de la nouvelle bibliothèque, l’idée d’engager un.e intervenant.e social.e a fait son chemin. Ainsi, à raison de 35 heures par semaine, une personne formée se promènera dans les différents foyers afin d’entrer en contact avec des utilisateur.rices dont le besoin s’en ferait ressentir, ou qui ne respecteraient pas le code de vie. 

35 heures, ça représente un peu moins de la moitié des heures d’ouverture. À ce constat, la Ville répond qu’il y aura en tout temps un.e agent.e de sécurité, et que les 35 heures pourraient être revues à la hausse. Mme Vallières-Roland indique aussi qu’il y a une unité du SPVQ dans le quartier qui « patrouille » souvent à pied. 

Après, on peut se questionner sur la manière dont sera appliqué le code de vie, s’il le sera de manière parfois souple, parfois moins, et dans quelle mesure l’aide et les interventions sont répressives. Mais il est certain qu’il est temps que Gabrielle-Roy rouvre ces portes, que ce soit le 1er mars ou quelques semaines plus tard ; le quartier Saint-Roch a besoin de ce tiers espace, de ce lieu de rencontres. 

 

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