Apprendre la vie par la mort

Le laboratoire d’anatomie est familier à la majorité des étudiants qui fréquentent le pavillon Vandry. Les autres associent probablement cet endroit au formol et aux cadavres qui y reposent, en ressentant un léger frisson dans le dos. Incursion dans ce lieu tabou de l’Université Laval.

Le Dr Eric Philippe, directeur de la division anatomie du Département de chirurgie, avait donné rendez-vous à Impact Campus tôt lundi matin, dès 7 h 30. La raison : les moniteurs d’anatomie arrivent dès 8 h pour préparer les cadavres en vue des cours qui débutent 30 minutes plus tard. Mais ce n’est pas la raison principale. « C’est la loi, mais c’est surtout une question de respect », affirme Dr Philippe. Aucun corps ne peut être exposé en dehors des séances de cours.

Cela peut sembler tôt pour se lancer dans de délicates manœuvres de dissection ou d’observation sur les corps. Pas le choix, explique le professeur d’anatomie, car du matin au soir, des centaines d’étudiants de différents champs d’études défilent dans cette salle.

« Mange bien le matin et ne t’habille pas trop chaudement! » Ce sont les deux conseils que donne aux étudiants Maude-Émilie Méthot, une jeune monitrice au laboratoire qui poursuit ses études au baccalauréat en kinésiologie, avant d’entamer une séance au labo.

Le moment arrive. L’impression d’entrer dans une salle chirurgicale d’un hôpital est parfaite. Dans la première salle, une série de tombeaux sont alignés, autour desquels les étudiants, en équipe, dissèquent et analysent les parties du corps. Sur les côtés, des crânes, des os, des foies : bref, de quoi satisfaire tous les amateurs d’encyclopédies visuelles. 50 étudiants peuvent suivre en même temps un cours d’anatomie en étant supervisés par les moniteurs et le professeur.

Non, la mort ne flotte pas dans l’air, pas plus qu’une forte odeur d’ailleurs. Bien au contraire, c’est la vie qui a préséance en ce lieu. Les personnes décédées ont décidé de donner leur corps à l’Université Laval pour apprendre aux étudiants ce qu’est la vie et l’anatomie humaine, rappelle Dr Philippe. Les étudiants ont une chance unique d’apprendre en étant confronté à la réalité.

C’est que l’Université Laval est l’une des seules universités québécoises à offrir ce type de formation. « L’ordinateur c’est bien : tout est beau, tout est parfait, tout est en couleur, tout est à la bonne place, c’est génial. Par contre, quand on ouvre un corps, [on découvre la] réalité de la vie », illustre le Dr Philippe. Même s’il rédige une encyclopédie complète du corps humain, rendre compte de la réalité de la vie est primordial, ajoute le professeur, puisque cela contribue à l’excellence de la formation. Il raconte même que le doyen de la Faculté de médecine de Tunis était de passage récemment pour faire part de son désir d’envoyer des étudiants tunisiens pendant l’été.  

Maude-Émilie souligne aussi le « privilège » accordé aux étudiants de suivre une telle formation pratique. Étudiante en kinésiologie, elle reconnaît la valeur de voir les muscles et de les étudier concrètement pour comprendre leur mouvement. Le directeur de la division anatomie explique aussi que les étudiants en médecine dentaire dissèquent toute la région de la bouche pour voir la « réalité » des choses.

Côtoyer la mort

« Il y a l’apprentissage de la notion de respect du corps humain et de ceux qui ont donné leur corps à la science », commente Dr Philippe. Le savoir-faire et le savoir-être sont donc deux aptitudes développées dans les cours. « Tous les étudiants sont avertis de respecter les corps, car ce sont des êtres humains avant tout, mentionne Maude-Émilie. On est chanceux d’avoir ça. »

« C’est malaisant, car on n’aime pas la mort », reconnaît la jeune étudiante. Mais cette étape dans le cheminement des futurs professionnels de la santé est obligatoire. Selon le professeur, les étudiants sont appelés à faire des liens entre leurs cours pratiques, la théorie, la réalité et la mort. Si parler de la mort est un tabou, la côtoyer permet de mieux l’apprivoiser : découvrir la mort fait partie de la vie. Maude-Émilie avoue que même « s’il y a un mystère derrière la mort de la personne, il ne faut pas s’arrêter à ça ».

Une distance se crée entre l’étudiant et le corps de la personne décédée, mais il n’y a pas de perte de sensibilité, fait savoir celui qu’on surnomme Dr Potter en raison des nombreuses boîtes alignées dans sa bibliothèque qui rappellent le marchand de baguettes dans la célèbre série britannique. Une cérémonie est d’ailleurs organisée chaque année lors de laquelle les cendres sont remises aux familles. Soit les familles repartent avec les cendres, soit ces dernières sont déposées dans le mausolée que l’Université Laval possède.

Une gestion complexe

Une équipe de quatre personnes s’occupe de la gestion complexe du laboratoire. Deux thanatopraticiens travaillent à la préparation des corps et un chirurgien professionnel apprend la dissection et l’anatomie. L’équipe doit coordonner les allées et venues des étudiants au laboratoire, tout en assurant leur rôle de pédagogue.

Deux types de formation sont offerts. Lors de la démonstration, les étudiants se regroupent par équipe de cinq et un moniteur par station expose une partie du corps. L’étape suivante est la dissection lors de laquelle les étudiants, en groupe de quatre ou cinq, étudient l’anatomie par la manipulation.

Mais avant de se mettre à l’ouvrage, les étudiants passent par le vestiaire. L’endroit l’exige : la combinaison verte ou blanche est de mise.  

Auteur / autrice

  • Jean-Frédéric Moreau

    L’actualité évolue plus vite qu’il n’est capable de la suivre… Et cela l’ennuie parfois. Certes, ce nouveau diplômé en science politique et philosophie ne manque pas de discuter politique autour d’un breuvage houblonné. Épicurien sur les bords, au caractère rationnel, les questions fusent sur tous les sujets. Il troque désormais son micro (il co-animait L’heure juste sur les ondes de CHYZ 94.3) pour l’énergie de la salle de rédaction d’Impact Campus.

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