Photo : Barbotin Elia

Atteinte à la langue française au Cégep de Sainte-Foy ?

Le Conseil d’administration du Cégep de Sainte-Foy a modifié, en juin dernier, l’article 3.1 de sa politique sur l’emploi et la valorisation de la langue française. La ligne qui faisait du français la « langue d’enseignement » en fait désormais la « langue prépondérante d’enseignement ». Changement anodin, dites-vous ?

Le changement peut effectivement sembler banal, puisqu’il ne rajoute qu’un seul terme, mais il soulève toutefois les passions au sein de la population collégiale, mais aussi dans la sphère publique et médiatique. Le débat s’est même vu évoluer jusqu’à en devenir un enjeu politique à plus grande échelle.

Alors que certains s’inquiètent des répercussions qu’elle pourrait avoir sur la communauté étudiante ou sur le personnel enseignant, d’autres estiment quant à eux que l’enrichissement de cours offerts en anglais ne viendrait en aucun cas à l’encontre de la valorisation de la langue primaire au sein de l’établissement.

Le plan du Cégep

Après avoir effectué des consultations en vue de connaître les besoins et les désirs notamment d’étudiants et d’entreprises, le cégep le plus fréquenté de la région de Québec a pris la décision d’instaurer, dans son plan stratégique quinquennal datant de 2015, « une offre florissante et diversifiée de l’utilisation de l’anglais ».

À l’interne, on souhaite en fait développer un cours complémentaire dont la langue d’enseignement serait l’anglais, lequel sera offert à ceux qui le désirent à l’automne 2018. Cette première étape permettra progressivement à la direction de bâtir un cursus entier dédié à développer les compétences de ses étudiants en anglais, en vue de leur entrée sur le marché du travail.

« À la lumière des résultats et de l’expérience des étudiants dans ce cours », le Cégep examinera ensuite la possibilité de développer une plus grande offre de cours en anglais.

Le syndicat des profs se dit inquiet

Selon le Syndicat des professeures et professeurs du Cégep de Sainte-Foy (SPPCSF), le problème ne réside pas autant dans la modification de l’article, mais bien dans son contexte d’adoption. Sur plusieurs plateformes, on peut lire que l’ajustement aurait été fait à l’insu des professeurs.

Or, le Cégep affirme qu’il avait bel et bien « délibéré auprès de ses membres lors de la mise sur pied du plan stratégique », et ce, bien avant de procéder au changement de l’article 3.1 relatif à la politique de la langue.

Après que les modifications aient été votées, un groupe de syndiqués a fait une requête de moratoire dans le but d’ouvrir une discussion relative à ce changement. Une demande à laquelle le Cégep n’a pas jugé bon de donner suite, ce qui a grandement refroidi le SPPCSF.

Le président du syndicat, Paul-Émile Houle, espère que la visée n’est pas purement « marketing » et explique que cela pourrait potentiellement engendrer des complications pour les étudiants fréquentant le cégep, mais aussi pour le personnel enseignant

Conditions de travail

« On se préoccupe principalement de l’arrimage entre les cours, de la correction, de l’évaluation des compétences en anglais par les professeurs, dit le leader syndical. Ça pose des problèmes pour nous au niveau des conditions de travail des enseignants et des répartitions de la tâche. Par exemple, est-ce qu’on va exiger dorénavant d’avoir des enseignants bilingues si on souhaite développer davantage cet aspect ? »

Questionné à savoir s’il est inquiet par rapport à l’importance laissée au français dans le processus, M. Houle affirme qu’il ne s’en fait pas trop à cet égard. « On ne croit pas que les étudiants qui auraient certains cours en anglais pourraient souffrir quant à la maîtrise et la qualité de leur français à la fin de leur parcours, parce qu’ils auront toujours le même nombre de cours de français dans la formation générale. »

C’est le terme « prépondérante » qui le préoccupe toutefois davantage. « On est un cégep francophone, et donc on veut garder cette couleur francophone, poursuit-il. On a la volonté de vouloir améliorer les compétences des jeunes en anglais, certes c’est une chose, et c’est bien, mais jusqu’où va-t-on aller sans garder quand même la couleur d’un collège francophone ?»

L’association étudiante se prononce

Le président de l’Association étudiante du Cégep Sainte-Foy, Gabriel Boivin, ne cache pas qu’une certaine appréhension règne aussi au sein de la communauté étudiante à la suite de cette annonce. « Je pense que le sujet soulève beaucoup d’interrogations ici, dit-il. Il y a des étudiants qui disent que l’anglais c’est la langue de demain, qu’il vaut mieux s’y habituer, mais il y en a d’autres qui disent que non, le français c’est notre langue et qu’on veut la conserver. C’est assez divisé. »

Sur la page Facebook Spotted : Cégep de Sainte-Foy Prise 2, on pouvait d’ailleurs percevoir un certain mécontentement des étudiants face aux modifications apportées à la langue d’enseignement. La possibilité d’une « mobilisation collective » a même été envisagée par quelques-uns d’entre eux.

Selon Gabriel, le choix du mot « prépondérante » a bel et bien fait sursauter, même si tout demeure une question de nuance. On veut « favoriser l’intégration sur le marché du travail et donner une corde de plus à l’arc des étudiants. C’est vraiment plus pour se mettre à jour », estime-t-il.

La direction se veut rassurante 

Accueillant près de 10 000 étudiants, le Cégep s’est vite retrouvé malgré lui dans un débat public entourant la décision. La directrice générale de l’établissement, Carole Lavoie, a jugé bon de remettre les pendules à l’heure.

Elle estime qu’une offre croissante des cours enseignés en anglais « n’entre en aucun cas en contradiction avec la pratique et la maîtrise de la langue française » et martèle que l’établissement collégial n’envisage pas du tout l’optique de devenir bilingue.

Sur le site Web du Cégep, on peut lire que « ce souci pour la maîtrise de la langue française ne peut être éclipsé par notre préoccupation de favoriser l’amélioration de la maîtrise de l’anglais chez nos étudiants ».

« Pourquoi mettre l’un en opposition avec l’autre ? Qu’il s’agisse de leurs aspirations ou d’attentes des milieux du travail ou universitaires, la maîtrise de l’anglais constitue un atout additionnel pour faire face aux défis d’aujourd’hui et de demain, et les étudiants comme les représentants du marché du travail ou du milieu universitaire s’expriment de manière claire à ce sujet », ajoute-t-on via un communiqué.

Mme Lavoie rappelle également que le Cégep Sainte-Foy affiche un taux de réussite avoisinant les 95% à l’épreuve uniforme de français, le meilleur du réseau québécois, pour tenter de calmer ceux qui voient le changement comme un affront direct à la langue de Molières.

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