Alex Noël propose une nouvelle approche du roman québécois

C’est devant une cinquantaine de personnes réunies sur Zoom, le 11 décembre dernier, qu’Alex Noël a présenté et défendu sa thèse dont il a eu l’idée à l’hiver 2014, lors d’un séminaire de maîtrise à New Delhi, en Inde, alors qu’il devait expliquer le roman québécois à ses étudiant.es. Cinq années de recherche, de réflexion, de rédaction et 430 pages plus tard, il dépose sa thèse intitulée Les dépossessions romanesques : lecture de la négativité dans le roman moderne québécois.

Au fil de ses lectures et de ses recherches, Alex Noël constate que le roman québécois semble se définir par la négative. De nombreux essais critiques font en effet état de ses manquements. D’après Monique Bosco, Isabelle Daunais, Gilles Marcotte, Jeanne Lapointe, Laurent Maillot et Michel van Schendel, pour ne nommer qu’elles et eux, le roman québécois serait « sans maturité, sans affrontement avec le réel, sans révolte, […] sans amour, […] sans spiritualité, sans portée universelle, […] sans prise de conscience, sans héros, sans […] action, […] voire trop poétique ». Mais cette évaluation serait basée sur « une vision européenne du roman », selon le doctorant.

Cette « incapacité romanesque » serait directement liée à l’absence de transformation positive des personnages, au sens où ils gagneraient quelque chose. Or, pour Alex Noël, cette transformation serait plutôt « associée à la dégradation, à la perte, à l’échec », prenant ainsi la forme d’une « dépossession ». Il précise que « si le personnage québécois ne se transforme pas, […] c’est parce que sa transformation équivaudrait à sa dépossession et que, dès lors, l’enjeu du roman serait de raconter sa résistance ». Le roman québécois traiterait donc davantage de la question existentielle que de la dimension socio-historique ou socio-politique. Il s’agirait à ce titre d’une dépossession immatérielle; les textes « chercheraient […] à adapter leur forme pour exprimer la perte, le deuil, le vide ».

« Ce que je me permets d’appeler la dépossession romanesque. »

– Alex Noël

Dans sa thèse, le doctorant cherche donc à déterminer de quoi il est fait, ce roman québécois, en tentant de le décrire autrement, de trouver les caractéristiques qu’il a, au lieu de celles qu’il n’a pas. Pour ce faire, il revisite les œuvres d’Anne Hébert, de Gabrielle Roy et de Réjean Ducharme, démontrant chaque fois comment leurs romans abordent le thème de la dépossession, un angle qui n’avait encore jamais été adopté.

Alex Noël s’oppose à la définition du roman par la négative. Et s’il doit contredire ses prédécesseurs, c’est toujours dans le respect de leurs travaux. Sa thèse permet alors d’instaurer un réel dialogue avec ces derniers, d’après le jury.

Mieux encore, sa conclusion est une véritable ouverture, une autre thèse même, souligne-t-on. Le nouveau docteur aborde, à ce stade, les œuvres plus récentes de Marie-Claire Blais et de Ying Chen, explorant alors les littératures « migrante et queer ». Grâce à cette dernière, il peut parler cette fois d’une « dépossession positive », qui serait un « idéal à atteindre ». Chez Marie-Claire Blais, au contraire, « le roman comme forme » vient soutenir les personnages dans leur résistance. Il révèle ainsi l’existence d’un « safe space romanesque […], un lieu où les dépossédés peuvent enfin exister tels qu’ils sont ».

La conclusion souligne encore que « le récit commun national s’est construit autour d’une certaine norme » masculine hétérosexuelle blanche, excluant les auteur.rices marginalisé.es, qui pourtant rendent tous.tes compte « d’une certaine forme de dépossession », interrogeant, « explicitement ou non, les différents angles-morts de ce récit national […] qui a longtemps [structuré et ordonné] la littérature au Québec ». C’est pourquoi Alex Noël projette de poursuivre au post-doctorat afin d’explorer davantage la littérature queer et de « mettre de l’avant différentes formes de marginalités » avec un corpus plus contemporain.

Nul doute que ces nouvelles recherches susciteront l’attention de ses pairs, tout comme sa thèse, envers laquelle le jury s’est montré élogieux et enthousiaste. Elle devrait prochainement être accessible via CorpusUL, répertoire en ligne des mémoires et des thèses rédigés et publiés à l’Université Laval.

Crédit photo: ULaval

Auteur / autrice

  • Jessica Dufour

    Passionnée des arts et du langage, Jessica Dufour étudie à la maîtrise en traduction et terminologie. Son baccalauréat multidisciplinaire en linguistique et communication lui a permis d'acquérir de solides bases dans ces deux domaines. En tant que journaliste, elle s'intéresse à tout ce qui touche la culture et la société, cherchant particulièrement à mettre en valeur la relève de Québec et des environs. Elle fait également partie du comité de lecture de la section création littéraire. La poésie et la photographie sont ses médiums de prédilection. Oeuvrant aussi dans le domaine de l'alimentation sauvage, elle erre d'est en ouest du pays, entre la forêt et la ville.

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