Photo : Danika Valade

Chroniques 5 jours pour l’itinérance

Bilan : La chaleur et l’autre

Le décompte annonçant la fin des 5 jours pour l’itinérance était à la fois teinté de satisfaction et d’espoir. Satisfait de retourner chez soi; en espérant avoir secoué quelques consciences.

Je soupais avec ma famille le lendemain, après avoir regagné mon petit appartement chauffé et douillet. Je m’attendais bien à ce que les questions de mes proches fusent de toutes parts. Pourquoi t’as fait ça? Ça sert à quoi?

Eh bien, j’étais moi-même sensible à la cause des itinérants avant de me lancer, mais je ne m’attendais pas à une expérience semblable. Pour être franc, je me disais au début que de me prêter au jeu ferait certainement un bon reportage. J’ai plutôt été frappé par la sensibilité des gens, et son absence chez d’autres.

À un membre de ma famille qui racontait avoir vu une personne itinérante s’acheter une bière avec l’argent qu’on lui avait remis, je lui ai répondu qu’on ne pouvait conclure de cette expérience décevante une règle universelle. Bref, je voulais lui dire que ce n’est pas une raison de ne pas être sensible à ces laissés-pour-compte.

Au terme de mes cinq jours à dormir dehors, j’ai vu à quel point certains sont sensibles à l’autre, à ce qu’il vit et dit. Dans la situation où tu es placé dans la marge, c’est dur de se convaincre que la marge fait la page. Mais quand quelqu’un s’arrête et s’intéresse à ce que tu es, j’imagine que tu as plus de raisons d’y croire. Sans le partage avec ceux qui se sont arrêtés au courant de la semaine pour simplement dire « bonjour », je dois dire que l’expérience aurait été toute autre.

On nous a reproché d’être des itinérants de luxe et que notre action ne correspondait pas à la réalité des personnes en situation d’errance ou d’itinérance. C’est parce que ces personnes sont dans une telle position qu’elles ne parviennent pas à être écoutées. Être de « vrais » itinérants pendant 5 jours ne nous aurait pas permis d’atteindre notre objectif de sensibilisation. De toute manière, on aurait été viré du campus plus vite que l’éclair.

Guillaume, l’un des participants, a dit quelque chose qui m’est resté en tête longtemps. « Il n’y a pas de mauvaise façon de parler de la problématique. » J’ajouterais que tous les angles d’attaque sont bons pour déconstruire les trop nombreux préjugés envers ces personnes dans le besoin. Si nos 5 jours à flâner devant le De Koninck auront servi à divertir certains, j’espère qu’ils auront poussé un plus grand nombre à sourire à la prochaine personne itinérante qu’ils rencontreront.  

Jour 4 : Le coup de vent

Le vent a tellement soufflé la nuit dernière que vers minuit, il a fallu s’y résoudre. Si nous ne faisions rien, l’abri allait nous tomber sur la tête. Nous sommes donc sortis de nos sacs de couchage pour solidifier notre campement. Le tout sous l’oeil curieux – parfois stupéfait – des quelques oiseaux de nuits qui passaient par-là. On a pelleté de la neige pour bien empêcher le vent de pénétrer dans notre refuge. Malheureusement pour Guillaume, on était tellement occupé à regagner la chaleur de notre sac de couchage que nous avons enseveli la cruche d’eau qui lui faisait office de tam tam.

La fatigue commence à me gagner et l’envie de prendre le prochain Métrobus vers la ville se fait ressentir. Mon corps ne suit plus aussi facilement qu’au début. Impossible pour moi de travailler tout en vivant dehors plus longtemps. Et encore, j’ai une sacrée cabane et je mange à ma faim! Il reste maintenant moins de 24 heures au défi… J’espère qu’elles passeront comme un coup de vent.

Jour 3 : Le don

« Donner, c’est donner », me répète-t-on depuis que je suis enfant. Avant ces derniers jours, je donnais ma partie de dessert à ma blonde, je donnais 2 $ à mon ami pour qu’il se paie un café… Je ne comprenais pas toutes les variantes possibles du don. Donner son temps m’apparaît noble, mais je me suis toujours considéré trop occupé pour faire don d’une période de ma journée à des gens qui pourraient en bénéficier. Il me semble aujourd’hui que de donner son temps ne se limite pas à devenir bénévole pour une cause. Simplement s’arrêter à quelqu’un qui souhaite discuter, renvoyer un « bonjour » ou un sourire, c’est donner. Rien de plus beau dans l’acte de donner que celui de donner en retour.

Je souhaite partager le don d’une jeune femme qui est venue nous voir ce matin, sans déplacer d’air. Discrète, elle nous a remis une enveloppe, puis s’est éloignée. Cette enveloppe contenait une somme remarquable : de quoi payer une bonne bouffe à son ami pour célébrer son anniversaire. Eh bien, sans éclat ni tambour, cette femme a donné dans l’humilité. Je salue ce geste qui me semble rempli d’humanité. Il me rappelle que parmi les étudiants assis à mes côtés dans la salle de cours, certains peuvent vivre en situation d’itinérance.

Jour 2 : Le bon samaritain

Nos esprits développant une certaine expertise en la matière, nous en étions venus à une conclusion : l’abri a besoin d’être amélioré. En fait, il a besoin d’un sacré remontant. La première nuit avait été passablement frisquette, notamment pour Audrey Ann qui pensait y laisser ses pieds. Étant confiné à ma salle de rédaction pour la journée, je n’ai pas assisté à la scène. L’équipe m’a raconté qu’un bon samaritain est arrivé et s’est mis à la tâche. Le coeur sur la main, il aurait trempé ses jeans pour tirer une bâche au-dessus du campement et l’attacher solidement aux arbres et lampadaires à proximité. Le résultat m’a renversé. À mon arrivée, j’ai un regain d’énergie : on a un campement extraordinaire! Lui, le type sympathique, serait reparti, sûrement le sourire aux lèvres. Sache que je t’en dois une, illustre inconnu, de nous avoir protégés de la pluie qui est tombée la nuit dernière. Grâce à ton aide, la nuit a été sèche et reposante pour tout le monde.

La journée est passée et le moral est bon. Les gens s’arrêtent pour la plupart et discutent avec nous. D’autres passent sans dire bonjour… Je commence à comprendre ce que peuvent ressentir les vrais itinérants à ce moment.

Lundi 16h, Jour 1 : La première

Premier souper, première veillée, première nuit. Premier matin, premier sourire, premier déjeuner. Après les premières 24 heures passées dehors, déjà une première surprise. J’étais préparé à ne pas manger pour le souper hier soir. C’était dimanche soir, et je m’attendais à voir le campus dans son état le plus paisible. Je ne me suis pas trompé. Mais le peu d’âmes qui rôdaient aux alentours du De Koninck étaient des plus généreuses. Ils ont été trois, quatre, à s’arrêter et discuter avec nous. On nous a apporté des sandwichs, des chocolats chauds… Beaucoup de chaleur humaine. Avec le froid mordant, c’est réconfortant.

L’abri a tenu le coup malgré les bourrasques de la nuit. Serrés comme des sardines, ce ne fut pas le sommeil le plus reposant… On s’y attendait tous. Mais les «bon matin» des early birds lavallois ont su réchauffer nos pieds engourdis par le froid. Le garde-manger est plein, et le souper sera bon. On est chanceux d’avoir à manger ce soir. À demain!


Chaque jour, jusqu'à vendredi, suivez les chroniques de Jean-Frédéric Moreau, qui vit de l'intérieur l'expérience de 5 jours pour l'itinérance. 

Auteur / autrice

  • Jean-Frédéric Moreau

    L’actualité évolue plus vite qu’il n’est capable de la suivre… Et cela l’ennuie parfois. Certes, ce nouveau diplômé en science politique et philosophie ne manque pas de discuter politique autour d’un breuvage houblonné. Épicurien sur les bords, au caractère rationnel, les questions fusent sur tous les sujets. Il troque désormais son micro (il co-animait L’heure juste sur les ondes de CHYZ 94.3) pour l’énergie de la salle de rédaction d’Impact Campus.

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