Quand Alexandre Bissonnette s’est présenté au palais de justice de Québec, le mercredi 4 avril, il a posé un geste lourd de sens en plaidant coupable aux charges portées contre lui. Un aveu de culpabilité qui, non seulement pèsera lourd dans sa sentence, mais aura aussi des conséquences sur la justice au Québec.
Bien qu’il avait décidé plus tôt dans la semaine de plaider non coupable, comme le fait la grande majorité des personnes accusées d’homicides volontaires, l’accusé s’est ravisé malgré l’avis contraire de ses avocats.
Alexandre Bissonnette risquait déjà, s’il était reconnu coupable par un éventuel jury, une peine de vingt-cinq ans prison. Comme l’a souligné Catherine Rossi, professeure agrégée à la Faculté des sciences sociales et experte en droit pénal et criminel, toute personne accusée de meurtre au premier degré est condamnable à une peine minimale de vingt ans de prison.
« La peine, c’est une durée de temps en prison. Au Canada toute condamnation de meurtre revient à avoir une sentence à vie. […] Il est important de savoir que même s’il retrouve sa liberté, un accusé de meurtre est toujours soumis à une surveillance policière toute sa vie », indique la professeure.
Ce qui est particulier avec le cas du tueur de la mosquée de Québec, c’est le caractère cumulatif de ses critères d’admissibilité pour une remise en liberté. De manière générale, les personnes accusées de meurtre au premier degré n’ont pas le droit de demander une remise en liberté avant ce minimum de vingt ans d’incarcération. Dans le cas d’Alexandre Bissonnette, le juge pourrait décider d’accumuler ce nombre d’années par rapport au nombre de victimes de l’accusé, c’est-à-dire six.
Ainsi, il ne pourrait demander aucune remise en liberté avant cent cinq ans, ce qui revient selon ses avocats à une « peine de mort par incarcération ».
Bien qu’Alexandre Bissonnette ait décidé d’éviter aux proches de ses victimes de subir la pression et le stress d’un procès, qui aurait été ultra médiatisé, il va sans dire qu’une majorité de gens suivra avec attention le dénouement de cette affaire.
Une patate chaude pour le juge
Bien que l’opinion populaire soit favorable à ce qu’Alexandre Bissonnette passe le reste de sa vie derrière les barreaux, il n’en demeure pas moins que la décision sera particulièrement ardue pour le juge. En effet, il n’est pas simplement question ici de condamner un accusé de meurtre au premier degré: il s’agit du coupable d’une tuerie de masse qui a choqué le Québec.
Catherine Rossi est de son côté curieuse de voir si les aveux de culpabilité de Alexandre Bissonnette influenceront la décision de juge. Il est vrai que le jeune homme est accusé de multiples charges, mais le fait qu’il les reconnaisse et qu’il ne tente pas de se défendre devant un jury prouve une certaine bonne foi, chose rare quand on parle d’une condamnation aussi grave.
Si une partie du dénouement de ce procès n’est pas vraiment une surprise, à savoir que l’accusé passera au moins vingt ans en prison, il sera intéressant de savoir s’il sera admissible à une libération conditionnelle après ce nombre d’années.
Un précédent pour la justice?
Si le juge décide d’incarcérer l’accusé jusqu’à la fin de ses jours, cela marquerait un tournant dans la justice au Québec et au Canada, selon Catherine Rossi.
« Si ça s’est fait une fois, ça pourra être refait. Par contre, il est rare que les meurtriers déclarent qu’ils sont coupables. Et avec cette accumulation des critères d’admissibilité, il ne faudrait pas s’étonner qu’encore moins d’accusés de meurtre plaident coupables à l’avenir », selon l’experte en droit pénal et criminel.
Elle ajoute que cette décision enverra comme message que le Canada est lui aussi prêt à envoyer un être humain jusqu’à la fin de ses jours en prison. Elle pense que cela bouleversera surtout la perception de notre système de justice, davantage que la pratique du droit en elle-même.
« Plus les pays ont des peines sévères, plus cela a des conséquences sur le système de justice. On risque de plus en plus d’avoir d’acquittement pour des vices de procédures, car plus une peine est lourde, plus elle est dure à donner par le sens qu’elle dégage. »
De plus, la professeure de l’Université Laval s’inquiète que ce genre de peine engendre différents problèmes dans les futurs procès pour meurtre au premier degré. Effectivement, elle craint qu’il y ait de plus en plus d’acquittements, ainsi que de meurtriers plaidant la folie passagère ou la non-responsabilité criminelle pour éviter un emprisonnement à vie.
Les observations sur la sentence commenceront le 10 avril, le juge sera ensuite en mesure d’émettre une condamnation dans les semaines qui suivront.