Photomontage : Alice Beaubien

Cambridge Analytica : Le rôle des utilisateurs

Le monde des médias numériques a récemment été marqué d’un scandale qui a eu l’effet d’une bombe ces dernières semaines : l’affaire Cambridge Analytica. C’est un article publié dans le New York Times qui dévoilait le 17 mars dernier que la firme de communication londonienne utilisait les données Facebook de millions d’utilisateurs, recueillies à l’aide d’une application installée sur les profils d’environ 270 000 personnes, pour mener dans l’ombre la campagne Web ultra-ciblée de plusieurs acteurs politiques, dont celle de Donald Trump.

Malheureusement, dans le cas des campagnes Web de la sorte, il ne semble pas y avoir de frontières nationales déterminées, selon M. Guillaume Latzko-Toth, professeur au département d’information et de communication de l’Université Laval et chercheur au Laboratoire de communication médiatisée par ordinateur (LabCMO). « Lorsque Cambridge Analytica a accédé au profil Facebook d’environ 270 000 personnes qui avaient installé l’application, c’est sûr qu’ils ont ciblé les citoyens américains, mais ensuite ils ont également capturé les données de leurs amis. Parmi ces amis, il y a forcément des Canadiens », ajoute-t-il.

Par contre, il faut bien comprendre que c’est une pratique qui est généralisée, et non pas seulement un événement rare et marginal. Le chercheur rappelle « qu’il n’y a pas eu un vol de données, ni effraction, pour dérober des données. Il y a simplement eu utilisation de données que les usagers ont volontairement accepté de partager avec le créateur de l’application ». Par la suite, celles-ci sont généralement compilées à l’aide d’outils d’analyse statistique afin de déterminer les publics les plus réceptifs aux campagnes de marketing, autant politiques que commerciales.

C’est un geste que nous faisons quotidiennement, chaque fois que nous voulons créer un compte sur une plateforme de musique en streaming, illustre le professeur. On nous propose de nous créer un mot de passe et un nom d’utilisateur pour l’application, ou de nous connecter via Facebook. En choisissant ce dernier, on nous informe presque toujours par une petite fenêtre que nous acceptons de ce fait que l’application accède notamment à sa liste d’amis et ses informations de profil.

Dans le cas de Cambridge Analytica, c’est un peu plus problématique que ça d’un point de vue éthique, selon l’expert. La raison pour laquelle ils ont pu multiplier leur échantillon d’électeurs américains, en passant d’environ 300 000 clients de son application à 50 millions de profils, c’est parce que ceux-ci laissaient ouvert par défaut l’accès à l’application par l’intermédiaire de leurs amis. En 2015, Facebook avait pris la décision de retirer cette fonctionnalité aux développeurs d’application sur son site.

Comment faire pour bien se protéger?

Radio-Canada publiait sur son site Web, le 21 mars dernier, les procédures pour interdire complètement l’accès aux diverses applications internet à son profil Facebook, et vice versa. Il faut ainsi accéder au menu des paramètres Facebook, appuyer sur « Applications », puis modifier les options de la boîte « Applications, sites Web et modules d’extension » afin de les désactiver. L’article fait ensuite état des étapes à suivre pour empêcher les applications installées par les amis d’avoir accès à ses données de compte. Cependant, Facebook a corrigé les paramètres par défaut de ses utilisateurs pour que ce soit fait automatiquement depuis le scandale.

Il y a aussi maintenant la possibilité d’installer des modules d’extension sur son navigateur qui offrent l’option d’isoler ses activités sur le Web de ce que l’on fait dans Facebook. Ceux-ci permettent d’échapper à la surveillance du média social sur les différentes plateformes internet où l’on retrouve ses fameux boutons de partage et de mention « j’aime ».

Ensuite, il faut se protéger de ce que l’on reçoit comme information. En d’autres mots, il faut éviter de laisser Facebook nous présenter un fil d’actualité sélectif, ou trop en cohérence avec les biais d’opinion de l’utilisateur. Il est donc nécessaire d’empêcher la plateforme sociale de présenter à ses publics des fils d’actualité tordus par des mécanismes de l’algorithme qui sélectionne son ordre de présentation.

C’est d’ailleurs l’une des faiblesses que la firme Cambridge Analytica a su exploiter en 2016, en identifiant un public réceptif et en l’exposant à des éléments de propagande. « On sait que l’être humain fonctionne de façon complexe, mais on ne peut tout de même pas non plus considérer que l’effet d’être exposé de façon répétée et à long terme à des contenus d’informations orientées et biaisées n’a aucune influence sur notre vision du monde », explique l’expert.

À cet effet, M. Latzko-Toth ajoute la suggestion de modifier les paramètres de base de son fil d’actualité pour que son ordre ne soit pas établi en fonction de la popularité d’une publication, mais plutôt en fonction de sa récence. Autrement, on laisse les algorithmes déterminer les contenus auxquels on est exposé. Il faut en addition utiliser avec parcimonie le bouton « j’aime » lorsque l’on navigue, et de le faire de façon idéologiquement variée. Cela permet ainsi d’éviter la polarisation de son fil d’actualité.

Finalement, la protection de la vie privée passe aussi par l’habitude d’installer le moins possible de ces applications qui requièrent des autorisations non essentielles à son fonctionnement. On doit éviter d’utiliser son compte comme raccourcis d’identification sur d’autres sites Web.

La protection de sa vie privée en ligne peut sembler insignifiante par rapport à la quantité de procédures et d’habitudes à adopter pour la conserver. Cependant, le chercheur insiste: le réel danger ne réside pas dans les conséquences que l’on peut envisager pour le moment, mais plutôt dans celles que l’on ne peut pas encore prévoir.

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