Pendant plus de 80 ans, le tramway a circulé dans les rues de la ville de Québec. Arrivées en 1865, les voitures étaient tirées par des chevaux jusqu’à l’inauguration du tramway électrique en 1897. En 2018, l’idée de ce type de transport semble renaître à Québec. Il est de lieu commun qu’étudier l’histoire permet d’éviter les erreurs commises par le passé. À supposer que la ville aille de l’avant avec le projet, voyons ce qu’elle pourrait retenir des échecs de l’original.
Par Christophe Saillant, journaliste collaborateur
Un danger public

Crédit photo : Archives Ville de Québec
Un.e rédacteur.rice anonyme en 1934 fait état du danger de monter en tramway. En effet, les rails de l’ancien tramway de Québec sont au centre de la plupart des rues, sur lesquelles circulent aussi des voitures. Lorsque le tramway s’arrête pour laisser entrer des passager.ères , celleux-ci doivent traverser une ou deux voies d’automobiles. Il va sans dire que de nombreux accidents ont eu lieu ainsi, surtout lorsque la visibilité est entravée par des voitures garées.
Il faut dire que l’ancien tramway de Québec a été conçu avant la démocratisation de la voiture, remarque Jean Breton. Avant la voiture, la rue n’était empruntée par des piéton.nes, des chevaux, des bicyclettes… Ces choses peuvent obstruer la vue, mais une collision est rarement fatale en raison de leur faible vitesse. On a donc trouvé judicieux d’aménager les voies au centre. Cependant, l’arrivée de l’automobile a complètement bouleversé la réalité des rues.
Le règlement
En 1906, la province encadre pour la première fois l’automobile. Puis, ces règlements se sont lentement étoffés à mesure qu’apparaissaient les dangers de la route. Ainsi, Québec a tenté de minimiser le risque de monter en tramway avec des réglementations. Le règlement 14B, noptamment, aurait interdit le stationnement de véhicules à moins de 15 pieds des arrêts des tramways pour rendre les piéton.nes plus visibles.
« Aucun système [routier] n’est 100% sans risque, mais on fait tout ce qu’on peut pour le réduire» explique Dominic Villeneuve, professeur agrégé à la Faculté d’aménagement, d’architecture, d’art et de design de l’Université Laval. Toutefois, la tentative de résoudre le problème de la sécurité des piéton.nes uniquement par le règlement semble peu efficace. Quiconque a déjà circulé sur les rues de notre belle ville sait que le Code de la route n’est jamais appliqué dans son entièreté par toustes les conducteur.rices. Ce n’est pas nouveau: en 1939, par exemple, les Syndicats catholiques de Québec se sont plaints du non-respect des lois de circulation, en particulier 14B.
La réglementation est un moyen de minimiser le risque. Cependant, «on ne peut pas faire fî de tous les apprentissages et toutes les améliorations de design dans les 100 dernières années », selon Villeneuve.
Le site propre
Une solution dite en site propre élimine tout écart significatif entre le tramway et l’arrêt. Un site propre comprend des arrêts sur des plateformes dédiées au tramway, c’est-à-dire inaccessibles aux voitures. Puisque le tramway longe les plateformes où sont situés les arrêts, les piéton.nes n’ont plus à traverser la rue pour embarquer, ce qui diminue le risque d’accident. Villeneuve illustre ce propos par l’exemple de Melbourne: après avoir rénové de la sorte certaines sections de son vieux système, la ville a noté une diminution de 62% des collisions entre les piéton.nes et les voitures sur les sections concernées. De plus, comme une telle solution vient réduire l’espace dédié à la voiture sur une rue donnée, les voitures vont naturellement réduire leur vitesse, favorisant donc la sécurité de toustes.
Tramway-trottoir

Crédit photo: Ville de Québec
Une première option consiste à intégrer la plateforme d’embarquement aux trottoirs. Cette option est relativement économe du point de vue de l’espace, son débit étant généralement moins diversifié. En effet, il n’y a ni voie automobile ni piste cyclable sur le modèle ci-contre. Ce n’est pas dire qu’un tramway-trottoir est absolument inconciliable avec la voiture, on peut imaginer de tels aménagements près de sens uniques, par exemple. Évidemment, il serait interdit de se stationner sur de tels rails.
Stations sur îlots
Une seconde approche serait de placer des stations sur des îlots de rues, améliorant ainsi la sécurité de celleux qui montent à bord du tramway en gardant les rails au centre de la chaussée. Une telle solution permettrait une circulation mixte (voitures, autobus, piéton.nes, cyclistes, tramway). Toutefois, cette option nécessite une plus grande largeur de rue. En effet, il faut aussi accommoder des trottoirs, des voies pour les voitures et des pistes cyclables. De plus, il faudrait aménager des passages piétons pour accéder à la plateforme de façon sécuritaire.
Rues piétonnes

Crédits photo: Ville de Québec
Une troisième solution serait de placer des arrêts sur des rues piétonnes. La ville compte actuellement plusieurs zones dédiées aux piéton.nes, incluant environ un quart du centre-ville. Cependant, la plupart ne le sont qu’en été, ce qui peut être moins sécuritaire qu’une rue piétonne à longueur d’année. L’option permanente est généralement économe du point de vue de l’espace. Gardons toutefois en tête qu’elle doit ménager un passage pour les services essentiels (pompier.ères, ambulancier.ères, police, déménageur.euses, etc.).
Outre l’espace, le choix du type de site propre dépend de plusieurs autres facteurs, comme l’infrastructure des utilités publiques (canalisations, électricité, etc.), le déneigement et l’entretien des rues… Un autre facteur important est la conception du réseau routier, soutient Villeneuve : «s’il y a beaucoup d’intersections croisantes, il est difficile de confiner la ligne de tramway d’un côté de la rue.»
Citoyen.nes, le temps est à la délibération : le projet de tramway est encore en phase de développement. Il est temps d’orienter le discours public autour du tramway sur son futur design. L’avenir de notre ville est notre responsabilité.
Références
Le journal de Montréal. (31 juillet 2018). 7 règles oubliées du Code de la sécurité routière. Mercier, Frédérick. https://www.journaldemontreal.com/2018/07/31/7-regles-oubliees-du-code-de-la-securite-routiere
Le soleil. (11 août 2020). Tramway, le temps presse pour le gouvernement legault. Bossé, Olivier. https://www.lesoleil.com/2020/08/11/tramway-le-temps-presse-pour-le-gouvernement-legault-164a212a7af860251acdd6c09f1c5b29/
Radio-Canada. (13 mai 2020). Une nouvelle version du Tramway de Québec axée sur les piétons. Nadeau, Jean-François. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1702557/tramway-transport-structurant-quebec-poles-echanges
Ville de Québec. Rues piétonnes. https://www.ville.quebec.qc.ca/citoyens/deplacements/deplacements-actifs/rues-pietonnes.aspx
Le soleil (7 janvier 1937). Une séance des unions catholiques.https://numerique.banq.qc.ca/patrimoine/details/52327/3294656
Le soleil (21 décembre 1934). Lettre ouverte https://numerique.banq.qc.ca/patrimoine/details/52327/3293111
Radio-Canada. (13 novembre 2020). Pourquoi le tramway de Québec a-t-il disparu, en 1948? Lachaussée, Catherine. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1749074/tramway-quebec-histoire-difficultes-fin-competition-bus