Comme l’hirondelle, une grève ne fait pas le printemps. Alors que les lignes de piquetage se défont peu à peu, beaucoup croient en la pertinence d’un repli stratégique. Rencontres.
Même si le mouvement de grève s’essouffle visiblement selon les étudiants interrogés dans la zone de grève du de Koninck, jeudi 2 avril, la mobilisation étudiante de ce printemps ne demeure pas un échec.
« Je trouve que c’est faux d’associer le mouvement étudiant à la grève seulement, déclare Raphaël Langevin, étudiant en économie et mathématiques. C’est peut-être la fin de la grève, mais ce n’est clairement pas la fin du mouvement. On va continuer à faire des actions, on va continuer la mobilisation. » Sandra Blouin, étudiante à la maîtrise en philosophie acquiesce : « On va continuer à manifester. »
Selon les étudiants interrogés, la grève étudiante a permis une prise de conscience collective. « Ça a fonctionné dans un sens. […] On a une présence médiatique. L’austérité est devenue un enjeu important, voire l’enjeu du printemps et possiblement de l’automne », augure Charles-Olivier Poulin-Carrier, étudiant en sciences sociales. Pour lui, la grève a également été un moment de sensibilisation propice à l’éducation populaire : « On profite de ce moment-là pour mobiliser les gens à l’Université. »
Pour Emmanuel Guay, coordonnateur général de l’Association des étudiantes et étudiantes en sciences sociales (AÉSS), l’objectif de mobilisation interne a été atteint : « Le fait d’avoir eu une période de mobilisation d’environ 2-3 semaines, cela a permis à la communauté étudiante mobilisée de mettre le doigt sur des problématiques et de savoir comment on s’organise concrètement. »
Grève sociale
Interrogée sur une possible fin du mouvement, Sandra Blouin envisage la présence des syndicats pour la suite : « C’est une grève sociale qu’on veut essayer de faire, et en ce moment les syndicats sont en train de coordonner leur mouvement de leur côté. […] On ne veut pas laisser penser à la population que ce n’est qu’un mouvement étudiant. Maintenant, on va attendre que les autres fassent leur part aussi. »
Quant à lui, Raphaël Langevin voit dans la grève étudiante une force de mobilisation remarquable. « Je crois qu’on va toujours rester un peu à l’avant garde, on sera toujours plus proactifs chronologiquement parlant que les syndicats sur certains dossiers, qui sont à l’extérieur du corporatisme traditionnel », affirme-t-il.
Même si les étudiants sont entrés beaucoup plus tôt que les syndicats dans le mouvement de contestation, selon l’étudiant en économie, « cela va être plus facile de les influencer à l’automne que maintenant. »
Repli stratégique
Interrogé jeudi 2 avril sur la sortie de l’Association pour une solidarité syndicale étudiante (ASSÉ) qui prônait un « repli stratégique » de la mobilisation, Charles-Olivier Poulin-Carrier ne semble pas y voir une erreur de jugement ou un signe d’échec. « L’idée du repli stratégique, ce n’est pas juste une ligne journalistique. C’est vraiment une stratégie réelle. […] On a réussi à faire la grève et à mobiliser les étudiants en général. Mais après cela, on ne veut pas que ce soit juste une grève étudiante. Donc, on fait un repli stratégique pour pouvoir élargir la grève à plus de groupes sociaux », explique-t-il.
L’étudiant en sciences sociales avoue que le contexte de ce printemps de mobilisation n’était pas idéal. « On s’est donné 2-3 semaines pour constater cela. Il y a déjà des reconductions qui passent. Après, dans le cas où on décide que le contexte n’est pas le meilleur, on se donne rendez-vous pour recommencer le mouvement », commente-t-il.
Contacté à la suite de la démission de l’exécutif de l’ASSÉ la fin de semaine dernière, Charles-Olivier ne pense pas que ce bouleversement à la tête de l’association nationale ait une influence majeure à l’Université Laval. « À l’ASSÉ, comme dans le reste du mouvement étudiant progressiste, particulièrement à Québec, ce ne sont pas les “leaders” étudiants qui font la mobilisation, mais bien les militant-e-s sur le terrain. Ainsi, qu’il y est un peu de dérangement “en haut”, n’a pas beaucoup d’influence sur le bas de la pyramide », réagit-il.
Continuer coûte que coûte ?
Gabriel Perron, président de l’Association des étudiants en physique de l’Université Laval (ADÉPUL), membre de l’ASSÉ, juge les dissensions à la tête de l’association nationale, qu’il qualifie de « bisbilles internes », peu propices au mouvement en général. « J’ai l’impression qu’on est en train de détourner le débat en ce moment vers des issues qui ne sont pas primordiales, et qu’on détourne l’attention du combat contre l’austérité, estime-t-il. Ils se disputent sur les moyens, mais j’ai l’impression qu’en faisant cela on est en train de perdre de vue le but. »
Selon le président de l’ADÉPUL, le mouvement serait ainsi repris par une « infime minorité de militants » : « L’ASSÉ a eu ce mauvais penchant d’être montréalocentriste. Mais là, j’ai l’impression que ça l’est encore plus. Et cette espèce de “continuons coûte que coûte”, avec aucun repli stratégique, est quelque chose issu d’un microclimat politique, d’une université à Montréal. C’est sûr qu’il y en a qui sont convaincus par l’idée ailleurs, je ne le nie pas. Mais j’ai l’impression que c’est moindre. »
Gabriel Perron considérait l’idée du repli stratégique comme un appel à la réflexion. « Je pense que c’est bien de s’asseoir à un moment donné et de réfléchir à l’avenir de cela, car j’ai l’impression que ça s’est fait un peu à la va-vite par des gens qui ne sont pas retombés de 2012, et qui sont encore sur un espèce de high. C’est bien à un moment de s’asseoir et de reconsidérer tout ça », conclut-il.
Un manque d’organisation pour les cycles supérieurs
Tout au long de ces deux semaines de mobilisation et des journées de grève successives, les lignes de piquetage sont parfois apparues clairsemées, surtout du côté des cycles supérieurs. L’ÆLIÉS se défend d’un quelconque problème d’organisation.
Jeudi 2 avril, près de 17 000 étudiants étaient en grève sur le campus. Alors qu’environ 500 étudiants avaient pris les bus pour se rendre à la manifestation nationale à Montréal, d’autres tenaient les rangs sur les lignes de piquetage. « On devrait s’en tirer, déclare Raphaël Langevin, étudiant en économie et mathématiques. On essaie de faire des équipes pour faire un bon piquetage. Pour les 2e et 3e cycles, c’est peut-être un peu plus dur. Disons qu’on s’adapte en fonction du nombre qu’on a. »
À savoir si tous les cours de la journée seront piquetés, celui-ci répond : « C’est sûr qu’on manque d’effectifs des fois. Il faut dire que l’ÆLIÉS a des difficultés de coordination. […] À l’AÉSS, on réussit à piqueter tous nos cours. »
Selon Raphaël, la démobilisation des étudiants aux cycles supérieurs donne une perception négative du mouvement : « Il y a un manque d’organisation, qui fait en sorte que les gens se démobilisent et se démotivent. Et cela fait perdre de la crédibilité à l’organisation en tant que telle. »
Pour l’étudiant en économie, un bilan sera nécessaire. « Il y aura peut-être un examen de conscience à faire. En 2012, j’y étais, et même du côté de l’ÆLIÉS, ça s’était quand même relativement bien passé. On avait notre quartier général à la Maison Marie-Sirois. Il y avait eu une job fantastique de ce côté-là. C’était crédible. […] Là, ce n’est pas la même chose », remarque-t-il.
Stéphane Lebrun, VP aux affaires externes de l’ÆLIÉS, soutient quant à lui que l’association a fait tout ce qu’elle pouvait pour la coordination. « C’est sûr qu’en l’absence de membres pour faire la grève, c’est assez difficile », reproche-t-il.
Celui-ci remercie les étudiants de 1er cycle pour leur support. « Par contre, ça n’enlève pas le fait que la mobilisation n’était vraiment pas très forte du côté de l’ÆLIÉS malgré les appels », conclut-il.
Quid du vote électronique ?
Alors que des assemblées générales (AGs) de reconduction de grève ont commencé à se tenir, certains se questionnent toujours sur la pertinence du vote électronique.
Pour Stéphane Lebrun, VP aux affaires externes de l’ÆLIÉS, le vote électronique permettrait une plus grande représentativité des membres : « En 2012 par exemple, il y avait eu des votes électroniques où une forte majorité de membres s’était exprimée. Cela représente l’ensemble des étudiants. »
Selon lui, ce mode virtuel de scrutin amènerait une plus grande mobilisation. « Je sais que l’assemblée générale [AG] est souveraine, mais dans un cas de vote de grève comme celui-là, pour s’assurer d’avoir une mobilisation forte, cela serait peut-être bon pour le futur d’institutionnaliser le vote de grève par voie électronique, peut-être sur 2-3 jours », opine-t-il.
Stéphane spécifie par la suite que les questions pourraient être déterminées en AG pour ensuite procéder par vote électronique.
Pour Emmanuel Guay, coordonnateur général de l’Association des étudiants et étudiantes en sciences sociales (AÉSS), le vote électronique est une problématique qui se pose avec plus d’insistance pour les grosses associations, comme l’ÆLIÉS : « Souvent, la dissymétrie entre les personnes qui peuvent participer à l’instance décisionnelle et le nombre effectif de membres présents est plus importante pour les grandes associations de campus. »
Toutefois, le vote électronique ne règle pas tout selon lui : « Ultimement, il y a un climat d’interaction et d’échange des idées que permet l’AG, et auquel le vote électronique ne se substitue pas. »
Pour le représentant de l’AÉSS, il reste un malaise sur le message dont est porteur ce mode de scrutin. « Le vote électronique ne considère pas tout le processus d’élaboration des idées, réduit la politique à un choix de consommation et ne nécessite pas une présence commune. On parvient à des décisions ensemble, des décisions qui ne sont pas seulement l’agrégat des volontés ou des désirs individuels, mais qui sont le résultat d’un processus commun », argumente-t-il.