Sans grande surprise, c’est dimanche dernier que le Parti libéral du Canada a choisi son nouveau chef en Justin Trudeau. Populaire, le jeune député de la circonscription fédérale de Papineau a gagné ce qui s’apparente à un concours de popularité gagné d’avance, sans grande opposition, si ce n’est que celle de Marc Garneau qui lui a servi quelques droites sur la mâchoire durant la campagne avant de se rallier à lui. Maintenant qu’il est chef, le « fils de l’autre » a une feuille de route plutôt chargée à assumer. Voici donc notre analyse des objectifs que doit se donner le potentiel futur Premier-ministre du Canada.
Jérôme Boucher
Rallier les troupes
Les récentes défaites électorales du PLC ont décimé la flotte de militants du parti. Plusieurs, charmés par Jack Layton et le Nouveau Parti Démocratique, ne reviendront jamais dans les rangs. M. Trudeau doit donc trouver un moyen de renouveler le militantisme de son parti, principalement en ce qui a trait aux moins de 35 ans. Pour ce faire, il devra démontrer en quoi le Parti libéral du Canada fera un meilleur gouvernement que celui de Stephen Harper et, du même souffle, devra démontrer en quoi le vote progressiste doit se réunir autour de lui.
Se distancer du NPD
Rusé, le vieux loup politique qu’est Thomas Mulcair ramène son parti vers le centre, forçant du même coup le Parti libéral à mieux se définir sur l’échiquier fédéral. M. Trudeau aura donc comme tâche de mettre de l’avant une stratégie qui établira clairement la différence entre son parti et celui de M. Mulcair. Ça c’est si, évidemment, une fusion avec ce dernier est impossible.
Trouver les terreaux fertiles aux libéraux
Si le Parti conservateur est bien ancré dans les provinces de l’Ouest, le Parti libéral ne peut se vanter d’avoir des régions sûres à l’échelle du pays. Pendant ce temps, les Maritimes – inspirées par la forte présence du député néo-démocrate Yvon Godin – deviennent tranquillement mais sûrement orange. M. Trudeau devra donc cravacher en Ontario, au Québec et en Colombie-Britannique s’il veut espérer obtenir un gouvernement majoritaire.
Le vote francophone
Si le vote francophone à l’extérieur du Québec peut lui être facile à obtenir, ce n’est pas le cas pour celui au Québec même. Par association, M. Trudeau traîne avec lui l’héritage de son père qui, on se le rappelle, est l’homme des mesures de guerre et du rapatriement de la constitution de 1982. Si quelques comtés à Montréal ( donc le sien ) lui sont plutôt assurés, le PLC est loin du compte à l’extérieur du 514 où le NPD domine encore les sondages.
Renouveler l’équipe
M. Trudeau aura aussi à trouver un expert économique, un expert environnemental, un expert de la santé, un expert des relations internationales, etc. En politique, il y a une loi non-écrite qui dit qu’on ne peut ramener les mêmes visages dans la sphère plus que deux fois. Est-ce que présenter Stéphane Dion comme un fidèle collaborateur inspirera les citoyens à voter pour lui ? Il est permis d’en douter. Qui plus est, M. Trudeau perdra bientôt un précieux collaborateur en M. Denis Coderre qui partira vraisemblablement en campagne pour le maire de Montréal.
Bien exprimer ses idées
C’est le reproche le plus fréquemment nommé en ce qui concerne M. Trudeau ; son manque d’idées concrètes. Maintenant qu’il est chef et qu’il a l’aval de ses troupes, il se doit de parler de ses idées en les chiffrant, en les quantifiant, en les qualifiant. Sans quoi il sera la risée des conservateurs et des néo-démocrates, sans oublier le Bloc québécois. Une équipe solide derrière lui pourrait être la solution. Jusqu’à maintenant, M. Trudeau a exprimé deux idées, soit que le registre des armes à feu était inutile et qu’un référendum sur la souveraineté du Québec doit obtenir au moins 66 % ( les deux tiers ) des voix pour être reconnu. Tirez vos propres conclusions.
Les relations internationales
Sur le plan des relations internationales, M. Trudeau devra probablement marcher sur des oeufs. Alors que le congrès américain discute de la faisabilité et de la pertinence du projet Keystone XL, M. Harper a tiré le Canada vers des relations privilégiées avec Israël qui ne sont pas sans conséquences. On peut aussi penser au protocole de Kyoto, biffé par le gouvernement Harper, qui a durement touché la réputation d’exemple environnemental du pays, maintenant devenu une risée dans ce domaine. Il sera aussi intéressant de voir l’approche de M. Trudeau par rapport au BRIC ( Brésil, Russie, Inde, Chine ) qui sont des partenaires commerciaux d’une importance capitale en cette période de mondialisation.
Des conservateurs coriaces
Sans opposition, le Parti conservateur amasse la quasi-totalité des votes à droite, même avec ses politiques grandement décriées à travers le pays. Cette frange de la population ne semble aucunement vouloir donner son vote à un autre parti dans un avenir rapproché. M. Trudeau devra donc gruger les votes conservateurs qui lui permettront de gagner sans s’alliéner le vote progressiste qu’il doit absolument conserver. Tâche colossale.
La remontée du Bloc québécois
Pour ceux et celles qui croyaient à la mort du Bloc québécois, détrompez-vous : les derniers sondages ( non probabiliste, mais tout de même ) placent le parti souverainiste en tête des intentions de vote au Québec. Avec les dernières révélations entourant le rapatriement de la constitution de 1982, parions que le parti dirigé par Daniel Paillé ( pas le joueur de hockey, le politicien ) tentera de capitaliser sur cette situation pour reprendre un nombre respectable de sièges à la Chambre des communes. M. Trudeau devra donc composer avec cette réalité alors que les souverainistes, souvent divisés, sont toujours unis derrière le Bloc quand vient le temps d’une campagne électorale fédérale.
Deux années
Alors qu’on peut s’attendre à une idylle entre les Canadiens et M. Trudeau pour un moment, il ne faut pas oublier que deux années entières nous séparent de la prochaine campagne électorale fédérale. M. Trudeau aura pour mission de galvaniser ses troupes au point de faire durer l’idylle avec les Canadiens jusqu’au jour du vote. Pour ce faire, il devra faire preuve de prudence mais aussi d’audace. L’économie, sujet principal au pays, devra devenir son affaire. Pour y arriver, il devra identifier son champion en la matière plus tôt que tard. M. Trudeau pourrait aussi choisir de capitaliser sur le développement durable, là où Stéphane Dion avait échoué.
L’influence des libéraux provinciaux
Si l’idylle avec les Canadiens est plus que possible, il ne faut pas oublier que les libéraux des différentes provinces ont une influence dans la tête des citoyens. Au Québec, le PLQ est en pleine reconstruction après un règne de 9 ans qui s’est terminé en queue de poisson. En Ontario, les décisions de l’ancien Premier ministre McGuinty ont provoqué d’immenses manifestations ( pensons au gel des salaires des professeurs ontariens ), calmées légèrement par la venue de la nouvelle Première ministre, Mme Kathleen Wynne. En Colombie-Britannique, la Première ministre libérale Christy Clark est en plein scandale de discrimination postive envers les nouveaux arrivants. M. Trudeau devra convaincre les citoyens que les libéraux fédéraux et provinciaux sont deux entités différentes.
Le partage des pouvoirs
Avec la résurgence du débat constitutionnel, comment M. Trudeau agira avec les provinces en ce qui a trait au partage des pouvoirs ? Est-ce que le fils sera plus ouvert à la décentralisation des pouvoirs que le père ? Est-ce que M. Trudeau osera mettre les mains dans les juridictions provinciales ? Il devra rapidement faire le point sur ces questions.
Bonne chance à M. Trudeau !