L’Université Laval figure parmi les rares institutions d’enseignement au Québec à faire appel aux services d’un cabinet de relations publiques de manière récurrente.
C’est ce qu’ont révélé des factures tangibles, rendues disponibles au Journal de Québec à la suite d’une demande d’accès à l’information le 30 novembre dernier.
Les documents obtenus démontrent que, entre 2009 et 2015, l’administration lavalloise a fait affaire plusieurs fois avec NATIONAL, une firme canadienne de relationnistes active un peu partout dans le monde.
L’an 2013 constitue un sommet en termes de chiffres, l’Université Laval ayant dépensé un montant de 97 927,25 $ pour les services du cabinet. Le total des six années de collaboration entre les deux organisations s’élève à 561 924,37 $. À l’heure actuelle, des paiements seraient toujours versés de manière mensuelle à NATIONAL.
Peu après l’annonce de la nouvelle, la ministre de l’Enseignement supérieur Hélène David a demandé au rectorat de justifier de telles dépenses. « Il peut y avoir des besoins de communications certainement, a-t-elle lancé en point de presse le 30 novembre. Ponctuellement, il peut y avoir des crises. C’est à eux de justifier pourquoi ils ont retenu les services, année après année, de la même firme. »
Mme David soutient que, si de telles dépenses sont justifiées et que le mode d’attribution est légitime, l’Université Laval devrait, en principe, justifier sa position dans la sphère publique.
Perspective externe
À l’interne, malgré une équipe d’environ 80 professionnels des communications, le fait d’aller vers NATIONAL s’expliquerait par le besoin d’une expertise pointue sur certaines matières, afin de voir aux intérêts de l’institution. Tous ces dossiers ayant nécessité des « conseils stratégiques » ne peuvent être rendus publics selon l’Université Laval.
L’institution rappelle que, sur certains dossiers depuis 2009, les différents rectorats auraient ainsi recouru à ces professionnels compétents, au-delà des frontières du campus. La raison : ce regard externe éclaire les décisions dans des domaines plus pointus et spécialisés.
Tous les services rendus de part et d’autre dans ce contrat ne feraient donc pas compétition aux relationnistes de l’Université Laval, mais seraient plutôt « distincts et complémentaires », rappelle-t-on.
Acceptabilité sociale
À l’Université Laval, l’ensemble des communications passerait par une logique interne fermée, selon le professeur au Baccalauréat en communication publique Bernard Dagenais. « Ce n’est pas une business, mais une entreprise publique, s’indigne-t-il. L’argent n’est pas le leur, il est public, et, même s’ils sont une corporation privée, ils pourraient au moins avoir le souci de rendre des comptes. »
Les récentes révélations amènent le Syndicat des employés (SÉUL) à réitérer un point qu’il défend depuis fort longtemps : celui de l’argent mal dépensé par le rectorat. « L’administration Brière utilise l’argent de l’Université Laval comme si c’était son propre argent, martèle le conseiller syndical Éric-Jan Zubrzycki. C’est malheureux, ce sont des fonds qui ne vont pas aux étudiants, qui ne servent pas à l’institution, mais plutôt au cabinet du recteur. »
Les nombreuses polémiques dénoncées au cours des dix dernières années, celles de Denis Brière, touchent la crédibilité de l’institution selon M. Dagenais. « C’est toute l’ambigüité du mandat qui permet la spéculation, note-t-il. C’est ce qui pourrait tomber si le rectorat était plus transparent, mais ce n’est pas dans ses habitudes. »
Le dossier NATIONAL ne serait donc que la pointe de l’iceberg selon M. Zubrzycki, qui souligne que le problème à l’interne est beaucoup plus profond que de simples contrats privés. « Ça ne surprend même pas, c’est la même incohérence ici que lorsque le C.A s’est octroyé des primes d’après-mandat, lance-t-il. Dans un contexte où les universités sont en définancement, c’est beaucoup plus large. »
L’État québécois concerné
La collaboration rendue publique entre NATIONAL et l’UL suscite plusieurs interrogations quant au rôle du gouvernement sur l’administration universitaire. Plusieurs acteurs se disent en faveur d’une surveillance plus serrée, alors que d’autres n’y voient pas vraiment l’intérêt.
Mercredi dernier, à l’Assemblée nationale, le porte-parole du Parti Québécois en matière d’éducation, Alexandre Cloutier, affirmait haut et fort que la vérificatrice générale devrait pouvoir entreprendre des vérifications sur toutes les universités à charte, comme celle de Québec.
Son homologue de la CAQ, Jean-François Roberge, insiste sur la nécessité de créer une loi-cadre propre aux universités. Celui-ci trouve assez incroyable que le recteur et le gouvernement en place « s’en lavent les mains ».
Pour ou contre ?
Pour sa part, le professeur titulaire Bernard Dagenais n’estime pas qu’une intervention gouvernementale soit souhaitable. La tentative ratée de l’État de se mêler aux communications en milieu hospitalier témoigne d’un bel exemple, selon lui. « Au contraire, ça ne prend qu’un rectorat qui a cette préoccupation publique, explique-t-il. Parce que même si le gouvernement intervient, la culture demeure fermée. Ce sont les mentalités qu’il faut changer. »
De son côté, le leader syndical du SÉUL, Éric-Jan Zubrzycki, n’approuve pas cette position. Une action de l’État lui semble logique, considérant que les universités à charte n’ont aucune obligation de reddition et que les budgets sont à 95% publics. « Un vérificateur général pourrait émettre ces recommandations, dévoiler ces façons dont l’argent est dépensé, le tout de manière neutre, exprime-t-il. On aurait plusieurs autres types de découvertes. »
Bernard Dagenais trouve d’ailleurs déplorable que la ministre Hélène David se positionne sur ce dossier, NATIONAL étant, selon lui, une firme très proche du Parti Libéral. « Tous les ministères font exactement ce que fait notre recteur, et lui donnent des contrats comme ça, conclut-il. Qu’elle dise ça, que ça vienne d’elle, c’est presque honteux. »