Photo : Courtoisie Clinique de droit international pénal et humanitaire

Ces migrants qui disparaissent : un enjeu oublié mais essentiel

Le mardi 10 octobre dernier avait lieu à l’Université Laval une conférence-midi organisée par la Clinique de droit international pénal et humanitaire et la Chaire de recherche du Canada sur la justice internationale pénale dans le but de mettre en lumière une situation très peu abordée sur la place publique : la disparition forcée des migrants.

Pour en discuter, le président du Groupe de travail des Nations Unies sur les disparitions forcées ou involontaires et professeur à l’Université du Québec à Montréal (UQÀM), Bernard Duhaime, la membre de la Commission interaméricaine des droits de l’Homme, Andréanne Thibault, et l’ancienne étudiante de la Clinique de droit international pénal et humanitaire, Mélina Cardinal-Bradette, étaient sur place.

Ensemble, le trio présentait les observations contenues dans le rapport soumis au Conseil des droits de l’Homme de l’ONU.

La disparition forcée lors de la migration est une problématique « d’une importance grandissante dans le paysage mondial actuel », ont d’abord convenu les conférenciers de coeur. Des milliers de gens dans le besoin fuient chaque année les conflits mortels et les fatalités écologiques qu’engendrent les changements climatiques. La migration de masse devient de plus en plus fréquente, ce qui cause des réactions draconiennes de la part des États concernés.

L’une d’entre elles consiste à, très malheureusement, faire disparaitre ceux qui tentent de traverser illégalement les frontières d’une nation. Cette injustice provoque chez la famille et les proches « un sentiment drastique, pire que celui de l’assassinat », selon Duhaime, faute de présence de corps ou de connaissance de causes pour apaiser le deuil.

Un essai de définition

La disparition forcée serait, selon l’article 2 de la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées « l’arrestation, la détention, l’enlèvement ou toute autre forme de privation de liberté par des agents de l’État ou par des personnes ou des groupes de personnes qui agissent avec l’autorisation, l’appui ou l’acquiescement de l’État ».

Les États soupçonnés de cette pratique profiteraient ainsi de l’absence de documentations officielles caractéristiques de l’immigration illégale pour intervenir, sans aucune considération des droits individuels.

Les disparitions forcées

Quelles sont les raisons qui causent une disparition? D’abord, dit Andréanne Thibault, certains migrants disparaissent pour des raisons politiques. On constate, selon elle, ce phénomène lorsqu’un expatrié, une fois arrivé à destination, est enlevé par une autorité déployée par le pays d’origine ou par les institutions locales, souvent à la demande dudit pays.

Elle cite en exemple la Corée du Nord, qui pratiquerait l’enlèvement et parfois l’assassinat des dissidents du régime qui prennent refuge en Chine, vraisemblablement informée par cette dernière.

Mélina Cardinal-Bradette aborde ensuite la disparition lors de la détention ou lors des procédures d’expulsion et de détention. Ainsi, plusieurs États criminalisent la migration, ce qui mène à la détention des contrevenants. En l’absence de procédures, de transparence et de documents officiels provenant de l’immigrant, ils s’efforcent de faire disparaitre ces derniers, le tout en demeurant exempts de toute rétribution et dans une complète impunité.

On peut aussi directement empêcher les migrants de pénétrer les limites géographiques de l’État lors d’une procédure que l’on nomme « push-back ». Un concept que M. Duhaime définit comme le fait de physiquement repousser les migrants, souvent dans des milieux extrêmement hostiles et dangereux, tout en contrevenant au principe de non-refoulement inclus dans l’article 33 de la Convention relative au statut des réfugiés.

Enfin, on rapporte des disparitions comme « conséquences de la traite ou du trafic des migrants », selon Mme. Thibault. Parfois étatique, parfois privé, mais toujours avec la collaboration ou l’acquiescement de l’État. Les personnes fuient, dans ce contexte, une situation qu’ils jugent insupportable dans leur pays d’origine pour finalement être réduits au statut d’esclave et complètement coupés de toute communication avec leurs proches, dans un territoire qui s’avère hostile à leur simple présence.

Enjeu majeur

Qu’elles soient causées par les conflits, les facteurs socioéconomiques, l’impunité des États, la discrimination, les politiques d’immigration et antiterroristes ou le manque de statistiques, les disparitions forcées représentent un enjeu majeur en politique et en droit international.

Elles sont d’une influence grandissante et exponentielle, puisqu’elles impliquent également les familles des migrants, qui sont menacées elles aussi par la disparition.

Néanmoins, selon Bernard Duhaime, le rapport du Groupe de travail « est généralement bien reçu dans le milieu, mais complètement ignoré des États pointés du doigt ».

Il conclut ipso facto en recommandant d’en parler le plus possible afin que la situation soit connue et que les États délaissent leur aveuglement volontaire, « alors que la liste des victimes ne cesse de croître ».

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