Récemment publiée aux Éditions du remue-ménage, l’Anthologie de la poésie actuelle des femmes au Québec recense le travail de cinquante-cinq poétesses de 2000 à 2020 « dans une approche intersectionnelle et intergénérationnelle ». De Natasha Kanapé Fontaine à Toino Dumas, de Chloé Savoie-Bernard à Carole David, elle dresse le portrait d’une poésie féminine et souvent féministe dans un format aussi beau que pratique, aussi foisonnant que concis.
Avec cette anthologie, Vanessa Bell et Catherine Cormier-Larose, elles-mêmes poétesses et actives dans le milieu, notamment auprès de festivals et de revues, succèdent à Nicole Brossard et Lisette Girouard, qui publiaient la leur en 1991 chez le même éditeur. La filiation semble d’ailleurs être au cœur du projet aussi bien que de plusieurs des œuvres qu’il met en valeur.
« […]
apprends-moi le langage caché
des torrents en pleine face
et la vie sur les vagues
à m’égarer à mourir
à me souvenir »
– Kim Doré
Soulignant la place qu’occupent les femmes dans le milieu de la poésie, non seulement en tant qu’autrices, mais également en tant qu’éditrices, critiques, traductrices et au sein d’organismes, Bell et Cormier-Larose proposent un portrait de la poésie québécoise et de celles qui la font vivre voire renaître depuis les vingt dernières années.
Elles sont engagées, lauréates et parfois reconnues à l’international. Elles se montrent aussi puissantes que vulnérables, parlent autant du quotidien que du territoire ou du corps.
« Tu ne sauveras que quelques passereaux, mais tu agis, tu oses agir avec l’espoir d’alléger un rien la détresse, puisque la détresse risque de t’emporter. Juste un geste, et ce mot tout droit sorti d’un autre siècle, charité, que tu récupères en cherchant une posture pour vivre adossée à l’abîme. »
– Louise Dupré
Dans leur préface, Bell et Cormier-Larose, identifient de nouveaux thèmes propres à l’époque comme « l’angoisse, le capitalisme, l’identité de genre, l’écoanxiété et les extinctions de masse ». Elles introduisent ensuite l’univers de chaque autrice dans un court texte mariant biographie et analyse littéraire avant de proposer un extrait de ses écrits. Son année de naissance ainsi que ses villes de naissance et de résidence sont également mentionnées, identifiant Montréal comme point de convergence malgré le désir de Bell et Cormier-Larose de représenter une pluralité de régions. La cinquantaine de poétesses aux identités, aux pratiques et aux styles divers, se voient liées par une prise de parole poétique indéniable, puis par certains thèmes communs. Ainsi, les termes « sororité », « intime » et « organique » reviennent souvent qualifier leurs œuvres.
« […] it turns out “I could speak French when I was six” is not the same than “I can speak French now” because it’s a whole fucking language & that seems like something that should have occurred to me, something I should have prepared for but I didn’t prepare for a lot of things […] »
« […] il se trouve que « je savais parler français quand j’avais six ans » et « je sais parler français maintenant » c’est pas la même chose parce que c’est toute une fucking langue et que j’aurais peut-être pu m’en douter, j’aurais peut-être pu me préparer pour ça mais je me suis pas préparée pour grand-chose […] »
– Tara McGowan-Ross
Cet ouvrage de référence se lit d’un bout à l’autre ou au hasard. Il permet d’aller à la rencontre de la poésie d’aujourd’hui, des femmes d’aujourd’hui, tout en se familiarisant avec l’héritage qu’elles portent.
Bien que foisonnante, l’anthologie ne fait qu’effleurer le nombre réel de poétesses québécoises. Il faudrait en effet cinq fois plus de pages pour représenter toutes les voix féminines actuelles, sans compter celles qui n’ont pas encore publié de recueil. Et le Québec peut s’en réjouir.
Crédit photo: courtoisie