Photo: Archives, Danika Valade

Politique bioalimentaire 2018-2025 : s’adapter à la globalisation

Présentée comme un « virage majeur » dans l’industrie bioalimentaire au Québec, la nouvelle politique du gouvernement provincial se veut plutôt une adaptation aux conditions actuelles des marchés locaux et internationaux, soit la globalisation. C’est du moins l’avis du chercheur à l’Institut de recherche en économie contemporaine (IREC) et auteur du livre Une brève histoire de l’agriculture au Québec, le sociologue David Dupont.

 « On n’a pas de grande révolution, dans le contexte d’une difficulté pour les états à faire valoir une réelle souveraineté en matière agroalimentaire, explique le chercheur qui travaille aussi parfois auprès de l’Union des producteurs agricoles via l’IREC. On cherche plus à adapter le ministère et les orientations. Il n’y a pas de grandes mesures qui basculent l’état des choses dans la politique. »

La politique Pour alimenter notre monde prévoit tout de même des investissements de 5 G $ au cours des cinq prochaines années dans le but d’améliorer, entre autres, la valeur nutritive des aliments transformés au Québec, notamment par l’agriculture biologique. Des mesures sont aussi prévues pour faire rayonner cette plus-value sur les marchés internationaux.

« À l’ère où l’économie se mondialise et se numérise, les entreprises bioalimentaires du Québec pourront compter sur le gouvernement du Québec afin de les aider à relever le défi de la compétitivité, déclarait par voie de communiqué la vice-première ministre et ministre de l’Économie, de la Science et de l’Innovation, Dominique Anglade. Les outils mis de l’avant permettront à ces entreprises d’accroître la productivité de leur main-d’œuvre, de réduire leur charge d’exploitation et ainsi d’augmenter leur compétitivité. »

Une politique large

La nouvelle politique se déploie selon quatre orientations. Le premier volet, « une offre de produits répondant aux besoins des consommateurs », prévoit améliorer tant les procédés de fabrication et de vérification que l’information disponible pour les consommateurs au moment de l’achat. Les deuxièmes et troisièmes sections concernent plutôt le développement des entreprises : formation de la main-d’œuvre, favorisation de l’approche filière, soutient des initiatives durables, augmentation de la production biologique et des saines pratiques de gestion. Le dernier volet entend renforcer la planification de l’utilisation du territoire.

« Entre les deux extrêmes, entre l’ancrage territorial de l’agriculture et la consommation, on traite de comment tout ça est produit : des différents segments de la distribution, de la vente au détail, de la transformation alimentaire, mentionne David Dupont. C’est vraiment un document qui couvre large, bien qu’il soit assez vague sur ce qui sera mené concrètement comme initiative et comme mesures. »

Le local à l’honneur

Faisant une grande place à la production locale, la nouvelle politique s’inscrit en continuité avec les différentes réflexions amorcées depuis plusieurs années par les acteurs de l’industrie agroalimentaire. Cette revalorisation des produits locaux accompagnée d’une gouvernance décentralisée dans l’attribution des sommes allouées est particulièrement adaptée aux disparités régionales, surtout en contexte de dévitalisation.

« Il y a eu plusieurs mesures qui vont dans le sens d’une appropriation par les acteurs locaux de certains leviers de développement, explique Dupont. Lorsqu’on dit qu’elle reflète les discussions des dernières années et les débats dans le secteur, elle reprend cet esprit de faire en sorte que ce soit les acteurs locaux qui définissent leur priorité et gèrent certains fonds. »

Une approche plus locale permettrait aussi une meilleure gestion des conséquences environnementales de la production agroalimentaire. « Les agriculteurs, je suis persuadé que ceux qui habitent leur terre préfèreraient utiliser autre chose que des pesticides, soutient le chercheur à l’IREC. Il y a une pression accrue qui provient de la concurrence internationale depuis plusieurs années. C’est féroce. »

Ce dernier souligne la diminution du nombre de ferme et leur concentration pour expliquer la forte pression économique que subissent les agriculteurs, en plus du marché québécois qui n’arrive pas à soutenir le développement du foncier agricole, forçant les exportations. « Pour eux, comme les marges de profit ont diminué, l’alternative aux pesticides n’est pas rentable, déplore-t-il. La décision est donc difficile à prendre. Les raisons économiques pèsent lourd. »

Un des éléments intrigants de la synthèse des pistes de travail concernait les achats locaux par les organismes gouvernementaux. David Dupont précise toutefois que « c’est davantage de soutenir les producteurs pour bien se placer dans les appels d’offres », se disant déçu du manque d’ambition sur cette question.

Un levier de développement

Bien que les achats locaux aient la cote depuis quelques temps, il est toutefois faux de penser que l’agriculture peut se penser seulement à une échelle locale, du moins dans les cadres sociaux actuels. « Surtout dans les régions éloignées qui peuvent être dévitalisées, la densité de la population – si on pense à une région comme la Gaspésie – est tellement faible qu’axer des mesures sur des circuits courts, ça ne fait aucun sens », soutient l’expert.

Le modèle agroalimentaire constitue un complexe industriel relativement intégré, d’abord à l’échelle de la province, mais aussi du monde, comportant ainsi des joueurs de tailles variables. « On a l’image de la petite ferme qui vend directement au consommateur, mais en agriculture, il faut penser les projets en fonction des filières parce que le gros de la consommation se fait à travers une industrie où il y a une division du travail entre des producteurs agricoles qui vendent à des grandes entreprises de transformation, qui ensuite, fournissent les grandes chaines de supermarchés. »

Malgré des problèmes quant au renouvèlement de la main d’œuvre, l’agriculture demeure un important levier de développement dans encore beaucoup de régions du Québec. C’est dans cette optique que les « meilleures perspectives » demeurent « d’intégrer d’une manière ou d’une autre le contexte économique, la dynamique de l’industrie agroalimentaire ».

Le chercheur suggère de miser sur des aliments qui se distinguent de la concurrence internationale, tout en pouvant rejoindre un vaste marché. « Pour des régions, ça représente certaines avenues intéressantes, indique-t-il. Des marchés de masses, qui s’inscrivent dans des chaines de valeur, mais qui optent pour des produits qui se distinguent […] Miser sur des aliments « sans » : sans gluten, sans sucres ajoutés. »

Des sommes importantes sont par ailleurs disponibles pour le démarrage d’entreprises, alors que certains fonds ayant pour mission de financer le développement peinent à distribuer leur enveloppe budgétaire, selon David Dupont. Les économies locales étant fragiles, la planification intégrée devient nécessaire.

« Il y a tellement de contraintes. En agriculture, il faut que tu fasses avec. Les enjeux sont énormes, il y a beaucoup de villages, villes et MRC où l’agriculture est devenue leur principal gagne-pain et a un effet structurant sur l’économie locale, conclut David Dupont. On ne peut pas commencer à tout chambouler, aux risques et périls de ces communautés. »

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