Illustration : Jean-François Latouche

Procès d’Alexandre Bissonnette : une couverture journalistique ardue

Au courant des trois dernières semaines, les représentations sur la peine d’Alexandre Bissonnette, l’auteur de la tuerie à la grande mosquée de Québec le 29 janvier 2017, ont eu lieu au palais de justice de Québec. Impact Campus vous propose un résumé de ces représentations par l’entremise d’un journaliste qui en était à ses premiers pas dans le domaine judiciaire.  

J’ai été appelé à couvrir les représentations sur la peine dans le dossier d’Alexandre Bissonnette. C’était un défi imposant puisqu’auparavant, j’avais eu peu de contact avec le journalisme judiciaire. Voici mon résumé d’un des plus importants procès de l’histoire du Québec.

Plusieurs mois ont passé avant qu’une date soit connue dans le procès d’Alexandre Bissonnette, qui n’aura finalement jamais lieu. Le tueur a passé deux mois dans un centre psychiatrique, notamment en raison de ses idées suicidaires, lesquelles le tourmentaient depuis l’âge de 16 ans.

Durant les représentations sur la peine, nous avons appris que Bissonnette voulait plaider la non-responsabilité criminelle. Il a donc été évalué par deux psychiatres, qui ont écarté cette option, disant qu’il était conscient au moment de son geste. C’est à ce moment que le jeune homme a décidé de plaider coupable. Puisqu’il a enregistré son plaidoyer de culpabilité, il n’y a pas eu de procès et les dernières semaines avaient pour objectif de déterminer la peine du tueur. Alexandre Bissonnette écope automatiquement d’une peine à vie, avec un minimum de 25 ans avant une possible libération conditionnelle.

François Huot, le juge en charge du procès, doit déterminer dans combien de temps il pourra faire sa demande de libération conditionnelle. Alexandre Bissonnette peut écoper d’une peine entre 25 et 150 ans. Ayant assisté à l’entièreté des représentations, je peux vous dire que la décision du juge semble loin d’être évidente.

Les images du 29 janvier 2017

Au tout début des représentations sur la peine, le juge Huot devait décider si les images de la tuerie seraient présentées au public. Les avocats de la Couronne et de la défense demandaient une ordonnance de non-diffusion. Plus précisément, cela voulait dire que le visuel ne serait pas disponible pour le public, mais que les journalistes pourraient décrire ce qui avait été diffusé en salle de cour. De l’autre côté, au nom de la liberté de presse, le consortium médiatique voulait présenter ces images.

Le juge a donné raison aux avocats de la Couronne et de la défense, ce qui voulait dire que les journalistes pourraient seulement décrire les images de la tuerie. Je dois vous avouer que ce fût un mal pour un bien, car après discussion avec d’autres journalistes, ce n’était pas facile à regarder. Selon plusieurs, le tout s’apparentait à un film, à la différence que cela s’était déroulé chez nous, dans la réalité, à Québec.

La Couronne

Durant près de trois semaines, la Couronne et la défense ont exposé leurs arguments au juge dans le cadre de ces représentations sur sentence. Chaque jour, Alexandre Bissonnette était présent dans la salle d’audience, tout comme son père ainsi que plusieurs membres de la communauté musulmane, touchés directement par ce tragique événement.

C’est le ministère public qui a présenté sa preuve en premier : une analyse des recherches informatiques de Bissonnette dans le mois précédent la tuerie, la préméditation du geste et les témoignages d’une vingtaine de victimes.

L’analyse de l’ordinateur d’Alexandre Bissonnette a démontré qu’il avait fait plusieurs recherches sur des tueurs de masse, sur les armes à feu utilisées le soir du 29 janvier 2017, sur les politiques d’immigration de Donald Trump et bien d’autres recherches l’ayant motivé à s’attaquer à la communauté musulmane.

Oui, cela était accablant, mais ce sont les témoignages des victimes qui furent la partie sensible de la preuve. Les proches d’une personne décédée lors de la tuerie, des survivants présents à la mosquée, des enfants ayant perdu leur père, bref, les témoignages qui se sont succédés, étaient sentis et très émotionnels. Chaque fois, Alexandre Bissonnette restait impassible, de glace devant ces témoignages touchants. En revanche, lorsqu’une personne a parlé de sa famille, l’auteur de la tuerie a éclaté en sanglots, obligeant le juge à ajourner la séance.

À la lumière de cela, il était difficile de se faire une idée de qui était Alexandre Bissonnette, car il y avait plusieurs contradictions, que ce soit lors de l’appel au 911, lors de son interrogatoire quelques heures après l’événement ou ses rencontres avec des psychiatres.

La défense

Puis, ce fut au tour des avocats d’Alexandre Bissonnette de présenter leur preuve. La personnalité du tueur a été abordée de long en large : narcissique, raciste, idées suicidaires, anxiété, dépression, menteur, empathie fluctuante. En général, son portrait était peu flatteur.

Les experts de la Couronne et de la défense s’entendaient sur ces points, mais ceux de la Défense voulaient prouver que Bissonnette était réhabilitable d’ici 25 ans, le minimum qu’il devra passer en prison.

Selon eux, cette longue période de temps permettra au tueur de travailler sur lui, « même si ce ne sera pas facile ». Les services offerts dans les prisons fédérales lui seront grandement utiles, ce que la Couronne réfute puisqu’il a déjà eu recours à des services psychiatriques où il aurait d’ailleurs menti à ces intervenants.

La suite des choses

Les représentations sur la peine se sont conclues jeudi dernier, et je dois dire que ça fait du bien. J’ai adoré mon expérience judiciaire, mais cela pouvait devenir pesant à certains moments.

La prochaine étape est celle des représentations concernant les peines consécutives. En 2011, le gouvernement conservateur de Stephen Harper a autorisé les peines consécutives dans le cas de meurtres multiples. C’est pourquoi Alexandre Bissonnette est passible de 150 ans de prison, puisqu’il a tué six personnes. Les avocats du tueur veulent s’attaquer à la constitutionnalité de cette loi. Le juge François Huot se doit donc d’entendre la requête avant d’imposer une peine à Alexandre Bissonnette. En juin, cette étape aura lieu puisque le juge a expliqué qu’avec les preuves qu’il avait en main, il ne pouvait exclure la possibilité d’imposer à l’auteur de la tuerie à la grande mosquée de Québec une peine de plus de 25 ans.

En conclusion, je ne voudrais pas être dans le siège du juge. Sa décision fera inévitablement office de jurisprudence. Va-t-il imposer une peine qui reflète la gravité du crime commis, ou va-t-il opter pour une peine moindre, pour donner de l’espoir à Alexandre Bissonnette, confiant que ce dernier pourra changer?

Décision au mois de septembre.

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