La Bibliothèque de l’Université Laval procédera à une « vaste opération de rationalisation des périodiques scientifiques » en raison de difficultés financières. Cette annonce a été présentée mardi dernier lors d’une séance d’information, où plusieurs enseignants et étudiants ont partagé leurs frustrations. De son côté, la direction de la Bibliothèque a présenté sa stratégie pour les choix difficiles à venir.
« Il n’y aura aucun impact sur la qualité de la recherche, ça c’est certain », rassure Loubna Ghaouti, directrice de la Bibliothèque, dans une entrevue avec Impact Campus. Mme Ghaouti souligne que la Bibliothèque « fait appel à un chercheur expert, neutre et indépendant qui va nous accompagner dans le processus. […] On ne fera rien du tout avant d’avoir les résultats de cette analyse ».
Sélection des périodiques
Les périodiques qui ne seront pas renouvelés sont identifiés à partir de trois indicateurs : les données de téléchargements des cinq dernières années, les titres cités par des chercheurs de l’Université et, finalement, par un sondage qui mesure la perception de la pertinence selon les chercheurs de l’Université. Les étudiants de deuxième et troisième cycles, les enseignants et les professionnels de recherche répondront au sondage qui sera prochainement envoyé par courriel.
L’emploi de cette méthode découle du constat que plusieurs titres ne sont jamais consultés : la même démarche a montré que 40 % des titres de l’Université de Montréal ne sont jamais ressortis dans une recherche.
Il demeure trop tôt pour savoir quand la Bibliothèque mettra en œuvre les premiers rationnements. « On va laisser la chance à cette démarche scientifique. J’attendrais d’avoir les analyses et les commentaires des utilisateurs avant de réagir », explique la directrice.
Stéphane Lebrun, président de l’ÆLIÉS, se dit inquiet quant au grand nombre de périodiques qui seront éliminés. « On ne sait pas si les publications qui n’ont pas été consultées dans les cinq dernières années peuvent finir par servir un jour. 40 %, c’est quand même énorme comme chiffre. […] Ça pourrait nuire au développement de nouvelles aires de recherche ». Il encourage tout de même la communauté à répondre au sondage pour « éviter des dégâts supplémentaires ».
Monopole et difficultés financières
Les difficultés financières ne sont pas uniquement causées par les politiques d’austérité imposées par le gouvernement libéral. Les multiples hausses du coût des abonnements ainsi que le positionnement défavorable de la monnaie canadienne réduisent de beaucoup le pouvoir d’achat de l’Université.
La Bibliothèque dénonce ouvertement que la montée en flèche du coût des périodiques est directement due au monopole que détiennent les cinq compagnies d’édition scientifique les plus prolifiques : Elsevier, Wiley-Blackwell, Springer, Taylor & Francis et Sage Publications. Le président de l’ÆLIÉS rejoint la Bibliothèque dans ce combat, en indiquant que « tuer le monopole est le seul moyen de s’en sortir ».
Un manque d’information critiqué
La stratégie du lieu de savoir a été présentée devant une salle pleine, le 6 octobre dernier, où de nombreux enseignants ont partagé leurs frustrations. Parmi ces critiques, on lui reprochait de les avoir « mis devant le fait accompli » sans avoir été informé avant que sa méthode soit dévoilée. D’autres ont critiqué le manque d’appui de la Bibliothèque aux revues indépendantes.
« On a fait des communications depuis le mois de janvier dernier aux comités-conseils », se défend Mme Ghaouti. Plus tôt, l’opération de rationnement a été présentée à la table des doyens, des vice-doyens à la recherche, en plus d’avoir été l’objet « d’une trentaine de réunions, sur le plan départemental ». La position de la Bibliothèque suggère que ce sont les représentants des comités-conseils qui n’ont pas relayé l’information sur le sujet.
Le président de l’ÆLIÉS, comme la majorité des membres de la communauté universitaire, a également appris dans les derniers jours la stratégie de la Bibliothèque. Il affirme ne pas avoir été informé plus tôt puisque la représentante siégeant sur le comité-conseil n’a pas retransmis l’information. « On a appris que les démarches avaient débuté en janvier, c’est un problème. [Mais dernièrement] on a eu une rencontre rapide avec Chantal St-Louis qui nous a expliqué la situation en détail. »
« On a discuté le dossier à notre assemblée. […] Il n’y a pas de résolution officielle qui a été prise, mais on suit le dossier de près et on veut organiser une rencontre avec les représentants des associations étudiantes pour discuter du sujet », affirme Stéphane Lebrun.
Une stratégie à long terme
Pour faire face au monopole, la Bibliothèque souhaite créer une plateforme d’échange qui favorise le libre accès aux articles. « C’est un enjeu important pour l’ensemble des universités. Le libre accès est une partie de la solution qu’on encourage », soutient Mme Ghaouti. « Le but est de se concerter entre bibliothèques et universitaires pour limiter cette augmentation fulgurante du prix des périodiques », rajoute cette dernière.
« Le libre accès est une porte de sortie à développer », soutient également Stéphane Lebrun. « Si les gens pertinents décident de partir un réseau parallèle de libre accès et que ce réseau devient une référence crédible, les monopoles vont perdre beaucoup de pouvoir ».
D’ici là, les chercheurs qui désirent identifier quels périodiques sont essentiels à leurs travaux devront répondre au sondage.